Le Shishi-gami, incarnation de la Nature
Gildas Jaffrennou / François Leiber / Xavier Michaut / Shivaran / Cath

Clés visuelles (Nouveau)

Dans les manières d'analyser l'image, il y a un code visuel que les plasticiens connaissent bien : c'est le code morphologique ou code des formes:
Il suffit de ramener le dessin d'un animal (comme le cerf) à son schéma, sorte de pictogramme, pour constater que c'est le forme d'un arbre inversé; c'est le type même d'un code symbolique. Les "bois" de la bête sont des racines à l'envers, ou plutôt "les racines du ciel" (pour reprendre le titre d'un célèbre roman de Romain Gary sur l'extermination des éléphants au nom du prix de l'ivoire)
Il y a un code des formes qui évoque un code du mouvement ou code cinétique: En occident chrétien, l'encens a été adopté dans la liturgie parce que ,comme toute fumée, celle- là monte au ciel, et comme elle est parfumée, c'est mieux ( il y a purification par le sensoriel et le symbolique): pour résumer, tout ce qui monte au ciel a soif de spiritualité: voir les cathédrales gothiques, toutes en concurrence au XIII ème siècle pour s'arracher à la pesanteur (St Louis a été sacré roi de France dans la cathédrale de Reims alors que celle ci n'était pas terminée , donc à ciel ouvert...)
Au Moyen-âge roman, la symbolique de la tortue est l'unité du ciel (métaphore de la carapace avec la voûte céleste) et de la terre (les quatre pattes). La tortue ici , le cerf là, pour la même idée, pourquoi pas? La différence est dans le mouvement suggéré par les formes, différentes; statique ( ou calme) dans un cas, elle est rapide (comme la foudre) dans l'autre.
Car il y a ressemblance entre les ramures du cerf et les lignes de la foudre (tombante) qui se concentrent au sol en un point . La lecture plastique, symbolique et dynamique de ces formes évoque une concentration d'énergie supérieure à l'homme (divine ou spirituelle) incarnée (ou tombée, descendue, posée) près de lui.

Cath
février 2003

 

Le piège de l'anthropomorphisme

Je rappelle d'abord que le Dieu-Cerf (Shishi-gami en japonais) est une représentation Shintoïste de la Nature, qui rejoint assez curieusement le Cerf à visage humain de la tradition celtique.
Essayer de comprendre le Shishi-gami, c'est essayer de comprendre l'essence de la Nature même, incarnée sous la forme d'un Gami.

Une des premières erreurs fréquentes quand on essaye de comprendre la Nature, c'est de l'anthropomorphiser, c'est-à-dire de lui prêter des intentions et une volonté compréhensibles par l'homme. Miyazaki savait parfaitement, en représentant la nature sous une forme incarnée, qu'il prenait le risque d'être compris de travers, même par les Shintoïstes japonais. Cette vision du monde des esprits conduit facilement à l'anthropomorphisme, et ce d'autant plus que dans le film tous les autres Gamis parlent le langage des hommes...

Mais voilà : dans les faits la Nature n'a pas de volonté propre, ni d'intelligence.

Au delà de la vision fort limitée de la biologie, la vie apparaît comme une chaîne immense qui unit tous les êtres vivants, de la première algue unicellulaire au dernier homme.

La Nature, c'est un enchevêtrement inextricable de destins minuscules, de vies petites ou grandes qui sont toutes reliées les unes aux autres, et vont mourir tôt ou tard.

Le Dieu-Cerf ne fait que personnifier ce destin inéluctable, auquel nul ne peut échapper.

Il représente du même coup toutes les lois naturelles dont dépend l'équilibre du monde vivant.

Cet équilibre impose une règle : une vie pour une mort, une mort pour une vie. D'où la branche que San plante devant Ashitaka quand elle l'amène dans le sanctuaire du Dieu-Cerf. Le Shishi-gami en absorbe l'énergie vitale avant de la transférer à Ashitaka. Cette énergie est tout juste suffisante à sauver Ashitaka, qui demeure très affaibli.

Mais pour obtenir la guérison de la malédiction, le souffle vital d'une branche ne suffit pas...

L'équilibre aveugle mais pas sourd

L'analyse du comportement du Dieu-Cerf lors de l'attaque d'Eboshi est très riche d'enseignement :
Un coup de feu et l'équilibre est menacé : le Shishi-gami commence à couler...

Et là, il se passe quelque chose de capital, que très peu de spectateurs ont remarqué : Ashitaka crie, il crie à Dame Eboshi de ne pas faire ça, de ne pas tirer. A ces mots, le Shishi-gami relève la tête et se régénère presque instantanément.

La volonté d'un seul homme a pu préserver un temps l'équilibre.

Ce fait est très significatif de l'évolution de Miyazaki dans sa vision de la relation homme-nature.

Au deuxième coup de feu, Le Shishi-gami perd sa tête... mais ne meurt pas. Ce qui se passe alors, c'est que l'équilibre entre la vie et la mort est rompu. Il n'y a aucune colère dans les actes du faiseur de montagne : il cherche seulement à retrouver sa tête, c'est-à-dire son équilibre perdu. La destruction qu'il provoque n'est pas volontaire : elle est le résultat de l'action d'Eboshi. Plus d'équilibre, plus de vie.

Dans cette vision du monde, il n'y a pas de dualité entre vie et mort : les deux sont indissociables du concept même de Nature. Et sans la Nature, il ne peut exister que le néant...

C'est peut-être le seul message qu'on puisse qualifier d'écolo dans ce film : la Nature n'a pas d'intentions, ni bonnes ni mauvaises. elle est un équilibre entre la vie et la mort, sans cesse renouvelé, que l'homme menace par ses actions.

Détruire cet équilibre, c'est déchaîner des forces incontrôlables, déclencher le Chaos.

Enfin, restaurer l'équilibre ne ramène pas à la situation initiale. Ce qui est détruit est détruit, quoiqu'on veuille. C'est sans doute la différence majeure entre la fin du film 'Kaze no tani no Nausicaa' et celle de 'Mononoke Hime'.

Gildas
 Mai 2001

Le Dieu-Cerf ne choisit pas

J'ai l'impression que la notion de "choix" n'a pas lieu d'être avec cette entité. Il guérit Ashitaka mais pas Okotonushi par exemple...

J'ai plus l'impression que le Dieu réagit à l'instinct et non pas par choix. Je pense aussi que son inexpressivité vient du fait qu'il vit dans un monde détaché du monde "conscient". Après tout, il est quand même censé représenter la nature qui n'a pas de conscience, mais qui réagit à un équilibre.

Cette réflexion peut donner un sens à la guérison et la renaissance de la fin : après avoir détruit une grande partie de la forêt et tué un grand nombre d'humains et d'animaux, son dernier geste après avoir récupéré son intégrité est de rétablir l'équilibre, tant en faisant repousser la verdure qu'en soignant les humains blessés. Je pense ainsi que cette guérison n'est pas vraiment consciente : juste l'expression de "l'instinct de la nature" .

Quant aux autres dieux disant que c'est au Dieu Cerf de décider s'il doit vivre ou mourir, je pense que cela dénote plutôt qu'ils vouent un culte au Dieu, mais qu'en fait celui-ci est incapable d'effectuer un acte raisonné. Ainsi dans tout le film, on a plus l'impression (enfin, c'est la mienne du moins) que le Dieu n'a pas de parti-pris : il ne fait que réagir aux situations qu'on lui impose, mais ne prend aucune initiative réelle.

Shivaran
Juillet 2002

(sur le forum de Buta-connection)

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