Représentation de la Nature,
et place de l'homme
dans les oeuvres de Miyazaki
Les lignes qui suivent font partie d'un échange avec Xavier Michaut sur l'évolution des représentations de la Nature dans quelques oeuvres de Miyazaki. Nous sommes partis de 3 films :
Nausicaa de la Vallée du Vent,
Mon voisin Totoro,
Princesse Mononoké
En fait c'est davantage la relation de l'Homme à la Nature qui est la question centrale pour interpréter les représentations de la Nature dans ces trois films.

Les représentations choisies correspondent en effet à des choix narratifs pour mettre en situation cette relation.

Dans chaque cas, la Nature est perçue comme une force importante, dont l'activité et la réactivité (!) peuvent avoir des répercussions sur les humains, sans forcément qu'ils en aient conscience.

 

- La forêt toxique dans Nausicaa :

Elle détruit les villages mais purifie le monde de la pollution des 7 jours de feu. Cette forêt que tous redoutent est apparue des suites de la Guerre. Les hommes sont donc ici responsables de leur propre malheur.

Or, en luttant contre la forêt, ils risquent d'empêcher la purification du monde et de précipiter leur propre destruction.

Les Ohmus inventés par Miyazaki permettent de concrétiser et de magnifier ce pouvoir naturel incompris des hommes. L'utilisation du jeune Ohmu comme appât est symbolique d'une espèce humaine qui a perdu le contact avec les racines mêmes de sa propre existence, au point de se croire capable d'exister sans son écosystème.

En réussissant à nous faire partager les souffrances d'un Ohmu, Miyazaki essaie de nous faire changer de perspective, de nous faire percevoir ce fameux lien perdu avec la Terre...

 

- Totoro, esprit des arbres et du vent

Lui, il ne fait rien de spécial... il se contente d'exister. C'est la nature tranquille, plutôt neutre...

Pourtant il donne un sac de graines à Satsuki et Mei en échange d'un parapluie. En bon voisin respecté (rappelez-vous la prière devant le camphrier géant), il emmène les jeunes filles dans les airs sur sa toupie, et leur appelle son copain le chat-bus pour retrouver Mei.

Les côtés 'bons' ou 'mauvais' que l'on percevait dans Nausicaa s'estompent.

Le pouvoir de la Nature, et ce que nous en retirons, tout dépend en fait de notre relation avec elle. Pensez à la Grand-mère qui fait l'éloge de ses légumes... D'une certaine façon, Miyazaki nous renvoie à une vision très shintoïste :

'Occupez vous de votre terre, elle vous nourrira.'

'Comprenez le camphrier, le camphrier vous comprendra.'

'Soyez comme le vent, le vent sera votre ami.'

C'est un message qui s'exprime très simplement, presque naïvement. Pourtant, il contient une vérité très profonde : le fameux lien avec la Terre.

 

- Le Shishigami, ou l'équilibre cosmique

A mon avis Mononoké représente une rupture, même si la parenté avec Nausicaa est forte.

En effet, pour la première fois, Miyazaki semble avoir abandonné tout idéalisme. Est-ce lié à son abandon du Marxisme ?

En tout cas, la gravité du ton de cette oeuvre et ce goût doux-amer qu'elle vous laisse au fond du coeur sont bien le signe d'une remise en cause profonde.

Le Shishigami, incarnation à la fois de la Nature de l'équilibre, permet à Miyazaki de rompre avec l'image d'une dualité entre la Nature prodigue et l'homme destructeur.

Cette représentation était-elle fausse ? Pour le moins, elle était incomplète.

Car il est une vérité que Princesse Mononoké montre avec une grande lucidité : la vie est une lutte, un combat difficile, à la fois entre les hommes, entre les hommes et la Nature et entre tous les êtres vivants au sein de la Nature elle-même.

En plaçant le Shishigami en dehors de la lutte, Miyazaki peut montrer tous ces conflits entre hommes, animaux et Dieux sur un même plan, sans prendre parti et sans que le spectateur prenne parti.

Du coup, on s'aperçoit que tous les reproches que Miyazaki pouvait faire à l'humanité, on peut les faire à d'autres êtres vivants. Les animaux aussi sont parfois cruels, violents, injustes...

Défendre uniquement la forêt et ses habitants contre l'homme, c'est nier à l'homme son statut d'être vivant faisant lui-même partie de la Nature... Le risque, c'est d'oublier que tous les êtres vivants sur la planète, y compris nous, obéissent aux mêmes règles incontournables :

on naît, il faut se nourrir (donc tuer), et un jour on meurt soi-même...

Qu'on soit un ver de terre ou un homme, il n'y a rien à y faire !

Ne pas tenir compte de ces faits peut conduire à nier ce lien d'interdépendance entre les êtres vivants, et à briser l'équilibre.

Cela donne les 7 jours de feu dans Nausicaa, et la mort du Dieu-cerf dans Mononoké.

 

Dans Nausicaa, c'est la forêt qui oeuvre pour restaurer cet équilibre. La Nature est une entité autonome que l'homme, élément extérieur, affronte. Entre les spores toxiques et les puissants Ohmus, tout concours à présenter les hommes comme indésirables au sein de l'écosystème.

Dans Mononoké, on assiste à un renversement complet : il faut que ce soit un homme qui rende sa tête au Dieu-cerf, et donc qui rétablisse l'équilibre. Et encore l'équilibre n'est-il plus le même car un point de non-retour est franchi.

Une nouvelle vision de l'humanité

Etonnamment, Miyazaki, qui n'est pourtant plus l'utopiste qu'il était à l'époque ou il a réalisé Nausicaa, réussit dans Princesse Mononoké ce tour de force : il replace sa confiance en l'avenir entre les mains des hommes.

Mais ce n'est pas une confiance aveugle. Le mythe de l'élu messianique n'est plus valable. Personne, aucun messie ne nous sauvera de nos bêtises, à part nous mêmes...

En clair, Miyazaki nous montre qu'il ne faut pas espérer sauver grand chose de la folie des hommes. Mais nous pouvons toujours faire chacun de notre mieux, chacun à notre niveau. Peut-être, comme Ashitaka, ne réussirons-nous qu'en partie. Mais nous n'avons pas d'autre choix que d'essayer. Renonçer, faire le jeu des extrémistes d'un bord ou de l'autre, c'est accepter de devenir... des tatarigamis !

En définitive, l'incarnation de la conscience et de la sagesse de la Nature,
ce ne peut être que l'Homme...

 

Cette dernière considération me renvoie à une thèse développée par l'astrophysicien Hubert Reeves dans son livre 'Malicorne'. Il y explique que l'espèce humaine étant faite de matière cosmique (les atomes lourds dont nous sommes faits se forment dans le noyau des étoiles), on peut considérer que nous sommes la matière pensante du Cosmos.

 Gildas