Le dieu cerf aux pas fertilespar Pascal Duplessis (30 novembre 2000)
Cette magnifique histoire nous renvoie à des temps merveilleux. Ce récit, s'il s'appuie sur une mythologie particulière, japonaise, nous fascine et nous parle parce que les motifs sont universaux. Il faut donc chercher à les comprendre avec les mêmes matériaux que ceux qu'utilisent nos contes, nos légendes et nos mythes.
Pour exemple Ashitaka, ce héros dont la force et l'adresse au tir à l'arc étonne. Nous retrouvons là le motif du héros désigné par le Destin, c'est à dire par des forces divines (le sanglier maléfique, esprit de la forêt). La marque au bras est à la fois disqualifiante (il est banni) et élective (elle le désigne comme celui qui peut sauver la terre et entrer en contact avec les forces vives de la nature). Cette marque en fait une sorte de manchot. Tel le boiteux ou le borgne des contes, mythes (et films !), le personnage mis ainsi en déséquilibre physique se place à la fois dans le monde des hommes du côté valide et dans le monde des dieux, de l'au-delà de ce monde, du côté invalide. C'est sans aucun doute cette blessure discriminatoire qui lui confère sa puissance , sa différence et sa mission. Notons également que, pour le monde courant -les pays qu'il traverse- il est issu d'un peuple mythique disparu, oublié des hommes et hissé au rang des ancêtres héroïques. Il est ainsi compris, par les humains "ordinaires" comme le symétrique de San, la princesse Mononoké.
San, de son côté, appartient au monde non humain, de l'autre monde également, mais celui de la nature et des bêtes. Son temps et son espace sont ceux d'avant la conquête des hommes, ils sont originels et sont marqués par le pouvoir d'animaux géants et doués de parole. Elle-même évoque une filiation extra-humaine et ses connaissances -et donc ses pouvoirs- sont autant inaccessibles qu'incompréhensibles à l'entendement humain.
Ces deux êtres, Ashitaka et San, sont bien faits pour se rencontrer et "s'entendre". Ils sont les personnifications d'un âge préexistant au notre, où l'homme et la nature vivaient sous le seul horizon divin. C'est "l'âge d'Or" de notre culture grecque. Leur union marque, au-delà de "l'âge de Fer" des hommes d'aujourd'hui (la forge), la restauration du lien et de l'accord entre ces deux mondes (Ashitaka, de polarité masculine, émissaire du peuple des Hommes, et la Princesse, polarité féminine, ambassadrice de la Nature).
Pour confirmer et célébrer ces retrouvailles et cette union, le Dieu de la Nature lui-même nous apparaît pour sauver Ashitaka de sa blessure, laquelle d'ailleurs, une fois qu'il est arrivé là où il devait finir, n'est plus nécessaire. La "personnification" donné à ce dieu ne nous étonnera pas, nous, héritiers souvent ignorants de la mythologie gauloise. Dans le panthéon gaulois prédomine la figure extraordinairement belle de Cernunnos (on peut trouver de nombreuses statues datant de l'époque gallo-romaine dans nos musées), ce dieu à la ramure de cerf, souvent représenté assis en tailleur. Les animaux qui l'accompagnent sont le cerf, le taureau et le serpent à tête de bélier. C'est une divinité des profondeurs de la terre, gardienne des secrets de la mort et de la fertilité. Quelle magnifique "trouvaille" en effet que ce cerf faisant naître et mourir le temps d'un pas quelques gerbes de fleurs !!!
Notons encore, mais il y aurait tant à dire, que le motif de la quête du cerf et de sa décapitation est très connu de notre patrimoine mythologique et littéraire. Relire la matière de Bretagne et ces poursuites du blanc cerf par Arthur et ses compagnons. Au terme de la course, le héros parvient aux frontières de l'Autre monde et fait la rencontre d'une princesse fée. L'union qui s'en suivra produira quelque héros fabuleux
Nous avons eu grand tort, depuis un bon siècle, de considérer que les contes étaient écrits pour les enfants et les légendes "inventées" pour les naïfs. Ils représentent au contraire une richesse inestimable, celle de notre patrimoine imaginaire et offrent à chacun les clés qui lui permettront de saisir notre vie et notre monde.
Le cinéma, lorsqu'il produit des films comme PRINCESSE MONONOKE, STAR WARS ou WILLOW ne fait que puiser dans l'imaginaire collectif de l'homme. On aime parce qu'on sait y reconnaître l'éclat de nos propres trésors, ce que nous partageons d'universel et d'humain.
Pascal Duplessis
Avril 2000