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échange avec Xavier Michaut |
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Xavier : (...) j'aimerais connaître ton avis sur un point. A propos du personnage de Nausicaä. Beaucoup la trouvent trop "parfaite". Pas seulement pour ses dons surhumains (intelligence, grande agilité et force physique, capacité de lire du vent, pouvoir télépathique, charisme,... la liste est sans fin) mais aussi dans le sens où elle aime toutes les créatures sur terre, passe son temps à vouloir aider et soulager la souffrance d'autrui. Et Miyazaki lui-même s'est rendu compte de cette nature presque énervante à force d'être sensible et généreuse. Quelques remarques agacées de Kurotowa et Kushana à l'égard de Nausicaä (dans le tome 3 ) semblent le démontrer. C'est encore plus flagrant dans la suite du manga mais je ne dévoile rien pour pas faire de spoilers. En fait je pense que si Nausicaä est si concernée par la souffrance autour d'elle c'est parce que, de par sa nature ultrasensible, elle la ressent littéralement. La souffrance des autres est aussi la sienne. En voulant guérir les blessures du monde, elle veut apaiser sa propre douleur. Je trouve personnellement qu'il n'y a rien à critiquer la dessus, mais c'est normal que cela puisse agacer. Gildas : Je suis d'accord avec ton analyse des motivations de Nausicaä. Il s'agit effectivement d'une sorte d'empathie fusionnelle avec tout ce qui vit. Je crois que je dois à ce personnage d'avoir produit un texte dont je suis assez satisfait, qui se trouve dans la section "conscience" de mon site (partie lectures). Si le coeur t'en dis, ça s'appelle 'le lien de la vie'. Quand aux réactions d'agacement par rapport à ce personnage, c'est assez curieux que les gens qui réagissent comme Kushana ou Kurotowa ne se rendent pas compte à quel point cela les dévoile. Kushana respecte le choix de vie de Nausicaä sans imaginer que le sien propre puisse changer. Kurotowa est surtout un opportuniste que l'on sent prêt à changer de camp si sa vie est en jeu, et qui ne sait même pas pourquoi Nausicaä l'agace. Moi, je vais te dire pourquoi Nausicaä agace certains lecteurs tout comme elle agace Kurotowa (point de vue personnel, bien sur). Les principes et les actes de Nausicaä ne sont fondés ni sur le désir, ni sur le pouvoir, ni sur l'orgueil. Ses motivations sont d'une pureté totale : protéger ceux qui en ont besoin, soulager ceux qui souffrent, convaincre les puissants de laisser une chance aux faibles, préserver la Vie. Elle représente un concentré absolu de tout ce que la conscience humaine a de plus beau, de plus noble. Or nous vivons dans un monde d'individualisme, de pouvoir, de lutte et de souffrance, dans lequel beaucoup d'entre nous font taire en eux cette petite voix qui nous dit si nos paroles et nos actes sont bons ou non. Et cette voix de notre conscience, nous ne l'écoutons plus parce que nous nous sommes laissés circonvenir par ce monde 'mondialiste' où la prospérité et le bien-être matériel sont devenus les seuls buts. Nous avons fait le choix d'accepter le monde tel qu'il est, et de nous comporter 'comme tout le monde' en sachant parfaitement que cela conduit à plus d'injustice et à plus de souffrance. Bien sur, tout le monde n'est pas corrompu. Je suis sur que toi et moi, qui nous sentons si profondément touchés par Nausicaä, nous l'aimons parce qu'elle ravive en nous un idéal auquel nous voulons encore croire, même si nous ne le vivons pas. Mais pour bien d'autres, un tel personnage ne fait que réveiller un souvenir douloureux : celui du moment où ils ont abandonné leur idéal pour ne vivre que la lutte perpétuelle pour la prospérité, en acceptant les infâmes règles du jeu de la dure réalité. Miyazaki les met en face d'une chose terrible : ils ont renié en eux la sensibilité et la compassion qui sont l'essence même de la merveilleuse Nausicaä. Le résultat, c'est que sur le plan émotionnel, ces lecteurs sont choqués, voire agressés même si ils en sont inconscients. Je n'ai aucun doute sur les intentions de Miyazaki en écrivant Nausicaä : il cherche à produire un déclic dans la tête de son lecteur, à lui faire prendre conscience qu'il n'a peut-être pas choisi le meilleur chemin de vie... Mais personne ne supporte de se voir remettre ainsi en cause dans le fondement même de son individualité sans réagir... dédain, indifférence, rejet, dénigrement... tout cela traduit un trouble intérieur inconscient mais bien réel. Il faut avoir un côté franchement idéaliste pour s'identifier à Nausicaä. Xavier : Il y a un autre aspect du personnage dont j'aimerais aussi discuter mais j'attends que tu aies lu le reste du manga. C'est le coté messianique de Nausicaä, toujours plus fort au fur et à mesure que l'histoire se développe et qui atteint un paroxysme presque inquiétant à la fin de l'oeuvre, d'autant qu'on pourra douter de la justesse de ses choix... Gildas : Pour moi, tout ce qui fait la valeur de Nausicaä, c'est justement qu'elle reste profondément humaine en dépit de son formidable charisme. Humaine donc faillible. Dans le tome 1, son affrontement avec le chevalier tolmèque est une énorme erreur, dictée par la colère. Dans le tome 3, elle doit se frayer un passage à coups d'épée pour rejoindre le camp tolmèque, et elle ne peut s'empêcher de repenser à ceux qu'elle a déjà dû tuer. 'Encore !' regrette-t-elle, en réalisant qu'elle tue à nouveau... Mais en dépit de ses erreurs, on sent bien qu'elle ne changera pas au fond d'elle. Elle apprendra de ses erreurs, en commettra d'autres, mais je crois qu'elle ne se détournera pas de son destin. Il me semble que la problématique du Messie fait pleinement partie des thèmes centraux de Nausicaä. C'est un point commun avec 'Dune' de Franck Herbert, ou 'En Terre étrangère' de Robert Heinlein. Le Messie, c'est celui qui apporte aux hommes la parole divine, une nouvelle façon de voir le monde et de vivre leurs rapports entre eux et avec Dieu. Or, Nausicaä ne montre aucune piété particulière. Tout juste en appelle-t-elle aux Dieux du Vent quand elle tente quelque chose de difficile. Il faut dire que toute l'oeuvre a une forte résonance shintoïste, religion animiste plutôt que théiste. Nausicaä réussit ce tour de force d'être totalement messianique en évitant le dangereux écueil de la religiosité. Les doutes qu'elle nourrit, et qui s'amplifient de façon dramatique à la fin, sont à l'image des doutes de l'auteur lui-même. Nausicaä est contrainte de prendre une décision sans savoir si c'est la bonne. En cela, elle assume une responsabilité énorme puisqu'en cas d'erreur, elle signe l'arrêt de mort de l'humanité. Si Miyazkai avait continué l'histoire, il aurait été obligé soit de donner raison à son héroïne, soit de lui donner tort, et dans les deux cas, cela aurait signifié prendre parti... alors que Miyazaki lui-même n'est pas sur de la validité des ses choix. Comme il le dit lui-même : " Conclure Nausicaä ne signifie pas que les évènements se sont terminés ou ont été conclus. Les choses continuent sans fin mais nous sommes arrivés au point du "À partir d'ici vous êtes au courant". Je veux dire que nous sommes au même point de départ de notre monde moderne, si difficile à comprendre. À partir de ce point, d'innombrables choses stupides arriveront et il y aura des efforts pour aussi leur tenir tête. Et elles se répèteront encore et encore. J'ai essayé de conclure au point où nous pouvions commencer à l'apercevoir." Le côté messianique de Nausicaä est largement remis en cause par ses propres doutes. Pourtant elle doit assumer le fait que des gens croient en elle, même si elle fait des erreurs. Elle ne peut pas juste leur dire "Je ne suis qu'une fille ordinaire", ce serait mentir autant que de dire "Je suis votre guide". J'irai jusqu'à dire que si Nausicaä était sure d'elle, la fin n'aurait justement pas cette portée réflexive qui en fait à mes yeux un chef-d'oeuvre absolu. |
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