Le château dans le ciel
de Hayao Miyazaki (1986)
page mise à jour le 3 févrierr 2003

 

 

le mot que je traduis par
"ile flottante"ou "volante",
se dit dans cette langue Laputa...

(Jonathan Swift, Les voyages de Gulliver)

En salles à partir du 15 janvier 2003

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Présentation du film

L'arrivée sur grand écran d'un dessin animé réalisé il y a plus de 15 ans mérite quelques explications. En effet, on pourrait penser que le succès du "Voyage de chihiro" en France est un prétexte pour nous ressortir de vieux films de Miyazaki datant d'avant sa gloire.

Or, les raisons qui ont empéché ce film de parvenir sur nos écrans avant aujourd'hui n'ont rien à voir avec ses qualités intrinsèques.

Pour certains spécialistes, "Le château dans le Ciel" est même le chef d'oeuvre de Miyazaki, maître de l'animation japonaise. Il présente un scénario et des références plus accessibles que "Le voyage de Chihiro", des personnages drôles et attachants et une animation de tout premier ordre bien que réalisée entièrement à la main.

Plus que dans "Le Voyage de Chihiro", Miyazaki exprime par "Le château dans le Ciel" ses passions et ses préoccupations les plus profondes :
D'abord une passion pour les aéronefs, dont la diversité, l'originalité et l'aspect spectaculaire vous surprendront.

Mais ses préoccupations concernent aussi la relation dégradée de l'Homme à son environnement. Sans être au coeur du récit comme dans Princesse Mononoké, la problématique de la relation Homme-Nature transparait par exemple dans les paysages de mines à ciel ouvert au début du film.
Par ailleurs, son souci d'une confiance trop aveugle en la technologie va s'exprimer à travers la confrontation d'une armée entière face à un seul et unique adversaire... mais n'en disons pas trop.

L'histoire commence et se termine dans le ciel, et se déroule à un rythme endiablé. c'est là un vrai récit d'Aventures avec des pirates, des poursuites, des batailles, des souterrains, le tout soutenu par les musiques remarquables signées Jo Hisaishi.

Les scènes d'action ont une telle force qu'on reste pantois du résultat obtenu sans aucun effet numérique. Pour autant, l'histoire ménage des moments contemplatifs d'une grande émotion, ainsi que beaucoup d'humour.

 

 

Les raisons d'une sortie si tardive en France

 

 

L'explication remonte à 1984, année ou Miyazaki réalise le film-culte "Nausicaä de la Vallée du Vent".

Cette année là, un distributeur américain (dont je tais le nom par pudeur) en achète les droits pour les Etats-Unis. Le film sort en vidéo quelques mois plus tard aux USA et aussi (vous n'allez peut-être pas le croire) en France.

Seulement voilà : non seulement le doublage a été fait de façon très médiocre (pour ne pas dire idiote), mais en plus le film a été amputé de plus d'une vingtaine de minutes de façon à respecter un format de 1h30.

Les noms des personnages ont tous été changés, les génériques coupés, et bien sur, tout cela sans que les auteurs en soient avertis...

Cette sombre histoire a mis Hayao Miyazaki dans une colère noire. Et tous ceux qui ont travaillé avec le bonhomme vous le diront : mettre Miyazaki dans une telle rage est une TRES mauvaise chose à faire.

Du coup, il va refuser de vendre les droits de ses oeuvres à l'étranger. C'est ainsi que des films extraordinaires comme "Le Château dans le Ciel", "Le service de livraison de la Sorcière", "Mon voisin Totoro" et d'autres resteront en attente des années durant !

Il aura fallu la patience et l'acharnement de nombreux admirateurs, amateurs et professionnels, pour faire bouger les choses.

C'est notamment Grâce à la persévérance de Gaumont - Buena Vista que les films de Miyazaki peuvent aujourd'hui, enfin, être montrés au public français.

 

 

Ce qui fait de ce film un grand spectacle

 

 
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Une animation superbe,
des décors époustouflants,
des personnages attachants,
une histoire riche et complexe,

des musiques tour à tour grandioses, émouvantes et drôles (bravo à Jo Hisaishi),

La mise en scène et le découpage de l'histoire, ciselées de main de maître, vous offrent 2 heures et 4 minutes sans temps mort.

Le film donne à penser sans jamais s'appesantir, laissant au spectateur sa part de rêve : on sort de là à la fois méditatif, nostalgique, heureux et ému...

 

 

 

Scènes mémorables (spoilers)

J'avoue avoir été envoûté par ce film, et le voir sur grand écran après une si longue attente fut un très grand moment. L'arrivée de Shiita, qui tombe littéralement du ciel dans les bras de Pazu, place d'emblée le film à la frontière du fantastique et de la Science-Fiction.

Le jeune garçon la regarde avec émerveillement. Il lui dira plus tard s'être demandé si elle n'était pas un ange...

La poursuite sur la voie ferrée, qui rappelle les scènes les plus déjantées du 'Château de Cagliostro', ose détourner avec un humour dévastateur les plus grands poncifs du genre.

On découvre aussi dans ce film une Capitaine-pirate au caractère bien trempé, capable de dévorer une moitié de rôti d'un seul coup de dent, un équipage de gros-bras désopilants prêts à tout pour se faire bien voir et un robot guerrier aussi destructeur qu'émouvant (ce qui n'est pas peu de chose croyez-moi).

Ce robot guerrier est un personnage à part entière que Miyazaki a réussi à rendre étonnament émouvant. Il me fait penser au Grand Automate dans "le Roi et l'Oiseau". Le contraste entre la douceur de ses gestes envers Shiita et son effrayant pouvoir destructeur symbolise à lui seul l'Humanité elle-même, avec toutes ses contradictions. Vous n'en serez peut-être pas surpris , mais Miyazaki est un admirateur du film de Paul Grimault, et les robots du "Château dans le Ciel" sont un écho lointain au "Grand Automate" imaginé par Grimault...

Quand les enfants arrivent sur Laputa, après 1h25 de film, c'est dans un silence presque total que se dévoilent les décors somptueux du Château volant. La montée progressive de la musique et la mise en relief des bâtiments par les ombres des nuages donnent une dimension légendaire à la cité en ruines.

Morgan : Je pense à la scène ou l'on voit le mausolée lors de l'arrivée de Shiita et Pazu dans le jardin de Laputa, gardé par la carcasse d'un robot complètement rouillé et immobile. Pour moi cette scène montre tout le pathétique de cette cité fantôme. Plus rien si ce n'est des morts. Ceux qui étaient sensés êtres les nouveaux gardiens de cette formidable puissance (en attendant, qui sait, une éventuelle renaissance) sont à leur tour anéantis par une force plus grande encore, celle de la nature (symbolisée par l'arbre titanesque qui sert de fondation a la cité de Laputa). Ce robot "endormi" représente le futur de toutes les mécaniques de Laputa, mais aussi le futur de toute réalisation humaine : une déchéance inéluctable.Voir les moisissures et les animaux se rire de ces fières machines lisses et chromées qui sont la plus belle manifestation du "génie" inventif de l'humanité, cela donne à réfléchir...

 

 

 

 

Réflexions

Cette section est appelée à se développer, car comme toujours Miyazaki propose à travers son film plusieurs niveaux de réflexion... N'hésitez donc pas à y revenir de temps en temps, ou à m'écrire pour vos suggestions.

En particulier, le regard de Miyazaki n'est pas celui de Switf. Pourtant Miyazaki a beaucoup travaillé pour donner à son film une ambiance européenne. Mais il faut se resituer dans le contexte du début des années 1980.

L'environnement faisait partie des grandes préoccupations de Miyazaki à l'époque, et d'ailleurs on retrouve dans "Le château dans le Ciel" plusieurs réminiscences de la série "Conan, le fils du Futur" (1978).

Mais c'était aussi une époque de grande prospérité économique, les produits japonais en tous genres envahissaient le monde entier, et on portait aux nues le "modèle économique japonais".

En décrivant dès 1986 un pays imaginaire futur aux ressources épuisées, et des gens sans scrupules à la recherche d'une puissance et d'une gloire mythique, Miyazaki faisait partie de ces rares visionnaires à traiter à la fois de la problématique du Pouvoir et de celle du développement durable.

Son monde futur aux accents faussement Verniens, c'est en fait le parfait opposé du futur radieux qu'imaginait Jules Vernes. Un monde ou Pazu, le héros, promet à Shiita de l'accompagner dans sa vallée de Gondoa quand leurs aventures seront finies... Ici, ce n'est pas la technologie qui apporte le bonheur, mais le lien avec la Nature Vivante.

 

Paradis perdu et quête des origines.

C'est un thème assez classique, que l'on retrouve aussi par exemple dans la série Les Mystérieuses Cités d'Or.

Bien sur, le traitement est très différent, mais la trame de fond présente de nombreuses similitudes :

Les protagonistes sont des enfants orphelins, à la recherche d'une partie de leur passé perdu.

Un bijou est l'objet de convoitises, car il est la clé d'une source de richesses inépuisables et d'un pouvoir ancien et mystérieux.

Dans leur quête, les enfants vont grandir et se révéler à eux mêmes et aux autres.

A la fin (pardon si je vous gâche la surprise), les mêmes causes produisent les mêmes effets désastreux.

On trouve aussi dans chaque cas un personnage au départ inquiétant qui finit par devenir l'allié des enfants (Mendoza dans les Cités dOr, et Dora dans "Le Château dans le Ciel").

 

 

Relation entre l'homme et la Nature (spoilers)

Le film aborde de nombreux sujets chers à Miyazaki. Comme toujours, ces aspects sont sous-jacents et ne constituent pas l'essentiel de l'histoire. Mais cette image d'un monde parallèle au notre, au delà du plaisir du spectateur, interroge la conscience du spectateur.

Laputa a autrefois été le château des maîtres du monde. C'était un lieu de richesses et de merveilles, mais surtout de pouvoir et de domination. Et puis un jour, tout cela s'est écroulé, sans que les causes en soient clairement exprimées... il y a environ sept siècles, les derniers habitants de Laputa l'ont abandonnée pour retourner à une vie beaucoup plus sommaire.

Déchéance ou choix délibéré ?

Bien sur, derrière la légende de Laputa, c'est bien de notre monde à nous que Miyazaki nous parle. Un monde qui mise tout sur la technologie et le pouvoir, et qui perd le contact avec la Terre.

C'est bel et bien ce qui est en train d'arriver à notre civilisation, pour peu qu'on ouvre les yeux. Nous perdons petit à petit contact avec la Nature, les animaux et la forêt, et nous plaçons nos raisons de vivre et nos espoirs dans un mode de vie et des valeurs de plus en plus coupées de ces réalités que sont les saisons, la pluie, le soleil et les chants d'oiseaux...

Les hommes ont abandonné Laputa, laissant la cité aérienne à la garde de quelques robots...

les robots de Laputa ont un énorme pouvoir de destruction, mais une fois séparés de leurs maîtres, ils n'ont plus aucune volonté destructrice. Sans leurs maîtres, les robots n'ont rien fait d'autre que jardiner et s'occuper des quelques animaux qui sont restés.

Voilà donc la plus noble utilisation que Miyazaki envisage pour la plus avancée des technologies : prendre soin des animaux et des fleurs après que l'homme aura disparu.

Ce robot couvert de mousses qui apporte une fleur à Shiita, c'est la Nature qui se rappelle à notre souvenir.

C'est peut-être aussi une façon pour Miyazaki de surmonter son propre pessimisme : montrer que les plus terrifiantes créations humaines peuvent finalement susciter beauté et de l'émotion.

 

 

 


Le mythe de Laputa (spoilers)

Laputa est un rêve. Le rêve de la domination complète de l'homme sur ses semblables et sur le monde entier. A observer la situation géopolitique dans le monde, on peut constater que ce rêve est toujours bien vivant.

Nous aussi, spectateurs, nous sommes pris par notre propre curiosité, et nous visitons Laputa avec la même fascination que Pazu et Shiita.

Mais l'émerveillement passé, la réalité nous rattrape. Ce rêve de domination contient les germes de la violence et de la guerre.

La question n'est même pas de savoir si le pouvoir peut corrompre : pour Miyazaki c'est une évidence. Dans "Le château dans le Ciel" comme dans ses autres films, les Puissants abusent de leur pouvoir et provoquent des problèmes.

Nous devrions être rassurés par la destruction de Laputa, et pourtant nous le vivons comme une perte irrémédiable. Est-ce simplement l'image fugace et fuyante du robot-jardinier et de ses petits protégés, qui nous rappelle que Laputa est aussi un lieu de paix et de beauté ? Ou est-ce l'atrait des Mystères et des Merveilles qui vont ainsi disparaître, à jamais hors de portée de l'atteinte des Hommes ?

Pourquoi L'île de Laputa est-elle fascinante? Que cherchons nous à travers ce rêve ?

Je ne peux que proposer mon point de vue, à travers deux mots :

Pouvoir et fortune. Telle est la réponse des adultes dans le film.

Pour les enfants, c'est une quête identitaire, car pour des raisons différentes Laputa représente une part importante de leur passé. On peut ici parler de parcours initiatique, et dans ce sens, le film s'adresse d'abord aux enfants. Par l'identification aux personnages, nous partageons en partie cette quête.

Mais en tant qu'adultes, je crois que nous avons aussi en nous ce désir secret de domination et de pouvoir. Car ce Pouvoir immense conféré par les armes de Laputa, ne pourrait-il pas être mis au service de la pacification du Monde ? Mais qui pourrait garantir qu'un pouvoir aussi immense ne serait pas source de corruption et de malheur ?

La dernière scène du film laisse au spectateur le temps de la réflexion, au fur et à mesure que l'île volante se perd dans le lointain. Et les paroles de Muska reviennent : "Laputa ne sera pas détruite. Elle va revivre. Le pouvoir de Laputa incarne le rêve de la race humaine."

Ce rêve de la race humaine, Miyazaki nous montre comment il finira tôt ou tard. N'est-il pas significatif que la seule partie de Laputa qui subsiste doive sa préservation à un arbre ?

 

 

 

 Liens

 

le site officiel

contient une interview récente de Miyazaki (octobre 2002)

 

 


ou en serions-nous sans Buta ?

 

les chefs-d'oeuvres

de l'animation

 


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