Impressions
sur le film La 1ere impression est que ce
film mérite largement les récompenses
qu'il a bien pu recevoir (ex: ours d'or aux
berlinales). En effet, Hayao Miyazaki a
réussi un coup de maître. Surprendre et enthousiasmer
les néophytes de la japanimation est une
chose, mais continuer de surprendre ses fans et les
habitués de ses oeuvres en est une autre. Il
y réussit doublement.
Pour parler de ce film, j'en ferai la comparaison avec les productions occidentales. Certes je ne vais pas comparer ce qui n'est pas comparable, mais Hayao Miyazaki nous livre ici un conte, très certainement son premier qui répond à ce standard. Il est donc intéressant d'évoquer les contes Disney qui sont si populaires chez nous, et de comprendre ce qui fait la différence avec "Le Voyage de Chihiro". Mais loin de moi l'idée de polémiquer en affublant les Disney de toutes sortes de tares. La différence est que les
Disney sont des contes magiques alors que le voyage de
Chihiro est un conte féerique. La différence
semble ambiguë, floue et pourtant reflète
réellement chacun des deux partis. Je m'explique
: Il y est question (entre autre) d'intégration par le travail, de (sur)consommation de biens, et de sauvegarde de l'individualité devant l'homogénéisation des cultures voire son uniformisation. Malheureusement les films d'animations occidentaux (surtout les américains, car des films européens sortent tout du même du lot), proposent très rarement une telle complémentarité ou richesse aux enfants et aux adultes. Ils sont trop souvent réservés exclusivement à un public jeune, les adultes ne faisant qu'accompagner leurs enfants. Concernant les thèmes abordés par le réalisateur, ils sont très militants. Certes, les films de Miyazaki ont toujours véhiculé un message fort, mais pour son dernier film, les sujets développés sont nouveaux, et très contemporains. Dans son film, Miyazaki démontre la valeur du travail et son rôle en tant que facteur d'intégration. Il dénonce la société de surconsommation de biens, et les idéaux de vie devenus très mercantiles. Ceux sont les deux thèmes porteurs du film, dans lesquels Chihiro devra tracer sa voie. D'autres sujets sont abordés, comme celui de l'individualité et de son respect (implicitement face à la mondialisation actuelle provoquant une certaine homogénéisation des cultures - par revendication le film s'en trouve donc très "japonais"). Au final, Hayao Miyazaki délivre un message rude mais non dur. Il explique que la vie est semé d'épreuves mais qu'elles sont autant de défi à relever. La persévérance, le courage, l'intégrité permettent de s'en sortir et d'avancer dans sa vie. Ce message diffère sensiblement de celui de "Princesse Mononoké", basé sur l'écologie et l'harmonisation entre l'homme et la nature, et des valeurs humaines comme le courage (là aussi), la non-violence et le respect. "Le Voyage de Chihiro" délivre un message d'espoir nuancé par la réalité de la vie alors que "Princesse Mononoké" portait un regard un peu résigné sur la société humaine (et non pas pessimiste comme disent certains) mais très réaliste. A propos de la réalisation, à proprement parler, Miyazaki excelle dans le dynamisme, l'équilibre de son film. Dynamisme car - comme d'habitude avec lui - on ne s'ennuie pas, l'action n'est jamais ralentie, l'attention n'est jamais relâché. Le spectateur navigue à vue, ne sait pas où le film va, et il n'y a guère que dans les 5 dernières minutes du film qu'on sent et prévoit l'aboutissement (peut-être un poil parachuté, non ?). De plus, l'équilibre qui règne dans le film touche la perfection. A aucun moment, le film n'en dit trop ou pas assez. Un mélange parfaitement dosé entre les effets féeriques et mystérieux, les effets humoristiques, et les effets dramatiques. La scène du Voyage de Chihiro dans le train en est l'exemple. Les trois ingrédients sont parfaitement réunis. D'abord le train qui roule ou navigue sur l'eau propose une situation féerique flagrante ; le visage de Chihiro fermé par l'émotion qui la tenaille, nous montre le drame de sa situation car elle est partie dans l'espoir de guérir son ami d'une mort certaine ; et enfin ses deux compagnons, le minuscule oiseau et le petit ourson, qui sautillent de joie sur le rebord de la fenêtre, nous remplissent de joie et de rires. Mais que penser de la scène ? Emporté par l'humour des petites créatures, compatissant et ému par le sort de Chihiro, intrigué par le mystérieux train, je ne savais pas quoi penser ! Si ce n'est d'avoir la pleine satisfaction et le bonheur d'avoir devant moi un film qui savait totalement me surprendre et me déloger de mes certitudes ! J'étais désarçonné, bluffé ! Personnellement rares sont les films qui m'ont fait cet effet. Concernant le graphisme, la maîtrise du dessin est irréprochable . On est séduit dès la 1ere scène (le déplacement en voiture) par les reflets sur les vitres, par les effets de lumière. Ces détails sont vraiment réalistes et naturels. On en parvient à oublier que ce ne sont "juste" que des dessins. Et il y a aussi, ces plans d'une seconde et quelques qui vous transportent littéralement ailleurs. Les japonais ont cette capacité de saisir, de dessiner le plan, l'image, cette sorte d'intermède d'un instant, coupant l'action, qui nous fait ressentir, palper directement l'émotion qu'ils veulent nous faire partager. Que dire, toujours dans la 1ere scène, où le spectateur se met à la place des yeux de Chihiro, qui est allongé au fond du siège arrière de la voiture. On voit alors ce qu'elle voit, c'est à dire un fond de ciel bleu qui se découpe à travers la vitre. Vous me croirez si vous me voulez mais cela m'a rappelé tout de suite mes propres souvenirs, quand étais gosse, j'avais vu ce même ciel bleu, alors que mes parents étaient à l'avant de la voiture. Quoiqu'on dise, et malgré les qualités que peuvent avoir les productions occidentales, il n'y que dans les oeuvres japonaises, qu'on trouve ce genre d'instant entre parenthèses, qui pourtant font l'ambiance du film.
Il y a tout de même quelques bémols, je trouve, à la perfection de ce film (aucune oeuvre humaine ne saurait être parfaite). Pour la 1ere fois, Hayao Miyazaki a intégré du numérique dans son film. Si d'une manière générale, ces effets s'intègrent discrètement aux dessins manuels, il y a tout de même certains effets trop "flashant", synthétique à mon goût. D'ailleurs il semblerait que le réalisateur ne soit pas loin de cet avis lui aussi. Mais pour une 1ere tentative, le résultat est très encourageant. Hayao Miyazaki transformera certainement l'essai lors de son prochain film. Dans les oeuvres de Miyazaki, la culture japonaise a toujours été présente - normal ! -, et ce film ne fait pas exception à la règle. Mieux encore c'en est sans doute le plus empreint de son oeuvre. De ce fait, il y a un certain nombre de détails dans le film qui m'ont paru un peu trop obscurs et ambigus - notamment autour des divinités -, très certainement du à ma méconnaissance sur la culture et l'histoire du japon. A mon avis, il faut donc être japonais, ou être parfaitement documenté, pour saisir certaines subtilités du film. C'est dommage, mais ne nous plaignons pas, car cela aussi fait partie de la règle du jeu. Un mot sur la bande originale du film,
qui est à mon avis, est décevante - osons le
dire ! -. Joe Hisaishi a prouvé à tous qu'il
est un très grand compositeur, aussi
hétéroclite et inspiré que John
Williaws (1). Ces deux dernières oeuvres (Princesse
Mononoké et Le Petit Poucet) étaient tout
simplement ambitieuses, réussies pour ne pas dire
sublimes. Mais force est d'admettre que la bande musicale du
voyage de Chihiro me laisse perplexe. Je l'ai eu bien avant
de voir le film, et à l'écouter je
m'inquiétais quelque peu de la retrouver pendant le
film. Il faut dire qu'il n'a pas de thèmes principaux
épiques comme dans ces deux précédentes
oeuvres - "voyage vers l'ouest" (Mononoke) ou "les loups"
(le petit Poucet). L'affaire semble décousu, et avec
peu de lyrisme et surtout, peu porteur. Il s'en suit un
accompagnement musical dans "Le Voyage de Chihiro" correct
et adapté, mais on est plus emporté par les
images que par la musique, ce qui n'est pas le cas dans
Princesse Mononoké. Hisaishi a-t'il été
tout aussi surpris par le film que les spectateurs l'ont
été ? Bravo tout de même pour la chanson de générique de fin, qui n'a pas été composée et écrite par Joe Hisaishi. Pour l'avoir écoutée avant de voir le film, je n'en avais rien conclus. On restait séduit par la pureté de la voix féminine, mais sans plus. Par contre, à la lecture des paroles (le film était VO sous-titré lors de la projection) j'ai compris effectivement tout le sens de la chanson. Et il est vrai qu'elle conclut merveilleusement le film, en proposant sa synthèse mais aussi en ouvrant la réflexion vers d'autres thèmes dérivés. "Le Voyage de Chihiro" possède un scénario plus inattendu, et mieux ficelé que "Princesse Mononoké". Le graphisme est aussi plus innovant. Même si j'ai un petit regret sur la musique, "Le Voyage de Chihiro" est techniquement plus abouti que "Princesse Mononoké". A ce titre, il mérite absolument d'être vu. Personnellement, je reste quand même attaché à "Princesse Mononoké", car l'histoire, le message m'interpelle et me séduit davantage. En effet, de par ma personnalité, voire de ma culture "rôlistique"(2), je m'identifie beaucoup plus à Ashitaka, un chevalier preux et honorable, qu'à Chihiro, une petite fille contemporaine. La candeur, la force de caractère et de coeur de Ashitaka m'ont particulièrement ému. Il reste un héros, le chevalier par excellence pour moi.
(1) John Williams est le compositeur attitré des musiques des films de Georges Lucas et de Steven Spielberg (entre autres). Citons Les dents de la Mer, Star Wars, Indiana Jones, la liste de Schindler, JFK, Jurassic Park... (2) David pratique le jeu de rôle, une activité dans laquelle on doit jouer un personnage pour réaliser une quête ou vivre une aventure... |