Nausicaä / Mononoké
remake ou authentique chef d'oeuvre ?

 

Mog :

Dans un article du hors série d'Animland sur Ghibli, François Prioux compare Nausicaä à Mononoké. Pour lui (et c'est une théorie reprise sur de nombreux sites internets) les trops grandes ressemblances entre ces 2 films, empêchent Mononoké de mériter le nom de chef-d'oeuvre. Quels sont vos avis sur la question et quelle est la position de Miyazaki sur le sujet?

Gildas :

Nausicaä est le Chef-d'oeuvre d'Hayao Miyazaki, 43 ans, qui réalise son deuxième long-métrage d'animation, mais le tout premier dont il écrit entièrement le scénario.

Toute la structure du récit est construite autour du personnage emblématique de Nausicaä, dont la sensibilité, le charisme et l'énergie ont valeur d'exemple pour le spectateur. L'histoire se passe dans un futur lointain dans lequel l'espèce humaine semble vouée à la disparition, pour avoir abusé de son pouvoir sur la Nature. Celle-ci reprend ses droits sur le monde et la forêt, personnage à part entière, est une entité qui oeuvre à l'insu de tous à la purification du monde. Mais ce renouveau, les hommes n'en ont nulle conscience et continuent à s'affronter et ravager le monde qui les entoure avec tout l'aveuglement d'une pratique ancienne et éprouvée.

Bien qu'humaine (et même violente à l'occasion), Nausicaä apparaît comme une sorte de Messie, doué d'un pouvoir empathique, qui montre aux hommes une autre façon de faire face à leurs problèmes. Au péril de sa vie, elle défendra les valeurs spirituelles et humanistes qui sont les siennes.

 

Princesse Mononoké est le chef d'oeuvre d'Hayao Miyazaki, 56 ans, qui réalise son 7ème long-métrage, et pense-t-il alors, le dernier de sa carrière.

Il retravaille un scénario qui date d'avant Nausicaä, mais le remanie complétement. L'histoire se passe dans le japon médiéval, à l'ére Muromashi. Le récit est construit autour d'un personnage central, Ashitaka, qui écope d'une malédiction mortelle pour avoir protégé son village d'un monstre. Le monstre qui maudit Ashitaka est le résultat d'une guerre entre les humains et les divinités de la Nature. Ashitaka arrive donc en plein dans ce conflit, et découvre que les dieux-loups de la forêt sont accompagnés d'une fille sauvage, San, dont il tombe amoureux.

Notre personnage central, bien que doté d'une âme vaillante et d'une grande sagesse, n'a donc rien d'un Messie. D'ailleurs, il n'y a pas grand monde pour l'écouter quand il parle de paix. Il ne peut même pas déclarer son amour ni espérer qu'il trouve une issuer favorable puisque sa malédiction le condamne. Ashitaka est un banni, maudit, qui prône une attitude spirituelle et humaniste, mais sans aucun charisme ou pouvoir empathique qui incite les gens à le suivre. Au contraire, la nature intrinsèquement maléfique de sa force suscite peur et rejet.

La véritable thématique de Princesse Mononoké, c'est de savoir si l'amour peut éclore et s'épanouir au milieu du chaos, de la haine et de la souffrance du monde.

En effet, je crois qu'entre ces deux films, Miyazaki a acquis une maturité qui l'a conduit à renoncer aux idéalismes. En 1997, Miyazaki ne peut plus croire à l'utopie de Nausicaä, qui aime toutes les créatures vivantes.

La guerre, la mort du Dieu-cerf, la destruction de la forêt et des forges, tous ces événements mènent à cette scène finale entre Ashitaka et San. Ils se sont rapprochés l'un de l'autre, se sont avoué leurs sentiments, mais ne peuvent vivre ensemble et l'acceptent. Le message de Mononoké est donc profondément différent de celui de Nausicaä.

On pourrait résumer le message de Nausicaä par "La foi et l'abnégation d'un être exceptionnel peuvent sauver le monde, suivez son exemple".

Celui de Mononoké serait plutôt "Croyez ce que vous voulez, cela ne sauvera pas grand chose, mais faites quand même ce que vous pouvez, ce sera mieux que rien."

Maubec :

Je pense être d'accord avec Gildas.

Je dis "je pense" car je n'ai jamais pu voir que la version honteusement amputée de Nausicaä qui avait été rebaptisée "Le vaisseau Fantôme (!!!!!!)".

On ne peut refuser à un film le titre de chef d'oeuvre pour similtudes à une oeuvre antérieure sinon on ne se retrouve plus qu'avec un seul chef d'oeuvre dans toute l'histoire du cinéma : "Citizen Kane" vu qu'il s'agissait d'un premier film. Tous les plus grands films des meilleurs réalisateurs ont bénéficié des films précédents de leurs auteurs. Pour moi, Mononoké est un chef d'oeuvre car je n'avais jamais vu un film aussi magnifique, aussi épique, qui respirait autant la sincérité de la part de son réalisateur (cela doit être dû au fait qu'il pensait faire son dernier film).

Si on veut même être tout à fait objectif dans ce débat, je dirais que Mononoké me parait aussi proche de "Shuna no Tabi", un magnifique manga de Miyazaki (notamment le design des personnages), que de Nausicaa. De la à dire que Mononoké en est l'adaptation en dessin animé, ça me parait aussi exagéré que dire que Mononké est un remake de Nausicaa !

 

Gildas :

C'est vrai, Shuna no tabi est un pré-synopsis de Mononoké sur de nombreux points.

Miyazaki a expliqué qu'il travaille avec de nombreuses trames qu'il se construit dans la tête, et qu'il accumule au fil des ans.

Quand vient le moment de créer une histoire, il choisit ses images dans sa 'bibliothèque mentale', où il puise des idées de personnages, des paysages, des situations...

Ces images que Miyazaki anime dans sa tête avant de les animer sur la pellicule, sont la matière même de son vocabulaire cinématographique.

C'est sans doute pour cela qu'en dépit d'un profond renouvellement entre chaque film, il garde une unité d'expression, un style qui lui est propre.

En fait, l'unité de son oeuvre tient à deux choses :

- Son 'vocabulaire' visuel
(mise en scène, transition entre les plans, types de personnages)

- Son évolution intérieure
Sur ses derniers films, les journalistes l'avaient interpellé au sujet de la fin de ses histoires (Il n'y a pas vraiment de Happy End dans Laputa, Mononoké ou Chihiro). Il a répondu que sur le plan narratif, il savait parfaitement comment produire un tel effet, et qu'il aurait pu terminer tous ses films en 'happy-end', comme il l'a fait avec Nausicaä.

Mais il s'est dit depuis que ce n'est pas honnête, parce que dans la réalité ce n'est jamais comme ça que ça se passe, il y a toujours des changements irréversibles. Dans ses autres films, Laputa est presque détruite, Jiji ne parle plus (sauf dans la version américaine), le Dieu-cerf se dissous dans la Nature, etc.

C'est là un des secrets de la force des films de Miyazaki (et aussi de Takahata) : tout n'est qu'illusion dans un film d'animation, et pourtant, le réalisateur veut à tout prix être crédible.

Takahata le dit dans une interview sur le DVD des Yamadas : "Dans ce film tout est faux, puisque c'est de l'animation, mais j'ai essayé de faire que toutes les émotions soient justes."

Tiens, c'est peut-être là le dénominateur commun à nos deux géants de l'animation !!

 

François :

Comme la plupart du temps, Gildas, je suis dramatiquement d'accord avec toi ! Même si les ressemblances entre les personnages et les faits sont énormes, le fond et la manière de les traiter sont tellement différents qu'on peut difficilement les comparer.

Quelques remarques personnelles cependant : alors que PM est pour moi l'archétype du chef-d'oeuvre, je n'en dirais pas autant de Nausicaä : en effet, je trouve que certains passages sont trop 'faciles', et surtout qu'en dehors de Nausicaä, c'est le désert pour les personnages, ce qui est regrettable.

A la rigueur, le manga (plus que une semaine pour le tome 7 !!) se rapproche beaucoup plus du chef-d'oeuvre ; mais là, Nausicaä est peut-être trop parfaite, pure et inaccessible, prête sans hésiter à donner sa vie, tellement au-dessus de nous dans son absence totale de préjugés...

Même quand elle faiblit, le fait de ressentir un tel poids sur ses épaules (elle est vraiment considérée comme le 'messie' de son monde) la met hors de notre atteinte...

T.U. :

Il y a un paradoxe Princesse Mononoké, en France beaucoup de gens ont découvert le studio Ghibli avec ce film par conséquent ils ont découvert Nausicaä. Sans Nausicaä n’y aurait jamais eu Mononoké, mais sans Mononoké il n’y aura jamais de sortie probable en France de Nausicaä, pas de manga non plus et Chihiro a été bousculée vers nos portes grâce au succès de ce film.

Je ne comprends pas qu’on ne puisse pas le mettre dans le rang de chef d’œuvre sauf si ce mot a une autre signification, utilisé aujourd’hui abusivement par la critique : « attention passer à côté d’un chef d’œuvre » comme une mention de baccalauréat dans lequel il suffit de remplir des cases ou des pages de bla-bla. Il faut laisser les gens en juger par eux-mêmes.

Sans aller dans les détails barbares, si Mononoké est une œuvre plus accomplie que Nausicaä, alors c’est un chef d’œuvre, mais on peut refuser d’admettre cela car c’est un copier-coller de Nausicaä sur la structure narrative.

Il ne faut pas nier les ressemblances comme il ne faut pas nier les différences. Partant de ce principe on ressort les vieux débats sur le remake du placard :

Miyazaki a-t-il le droit de nous servir deux fois la même sauce ?

Il faut juste préciser que si Mononoké n’est pas un chef d’œuvre alors Nausicaä non plus. Nausicaä pêche ses idées dans la saga « Dune » de Franck Herbert et celle de J.R.R Tolkien « Le seigneur des anneaux » et le personnage Nausicaä est inspiré de "Tsutsumi Chunagon Monogatari"(La princesse qui aimait les insectes), qui fut écrit à la fin du 12ème siècle. Ça reste malgré tout l’œuvre de Miyazaki car des éléments ne sortent de nulle part juste de l’imaginaire de son auteur, et on peut en déduire la même chose pour Princesse Mononoké. Je vois en Nausicaä juste une source d'inspiration dans lequel il a pêché ses idées et c’est son droit car c’est lui l’auteur. Sauf que le scénario de Princesse Mononoké est beaucoup plus complexe comme une évolution de son œuvre précédente. Et pour cause : plus de 10 ans se sont écoulés entre les deux films. (…)

Je termine par une petite parabole avec le film de Sergio Léone «Pour une poignée dollars » qui est connu comme un classique du western spaghetti devenu un chef d’œuvre, il se trouve qu’il eut une polémique à propos ce film car il est en vérité le remake de «Yojimbo» de Kurosawa. Il n’empêche qu’il faut avoir un certain talent pour les remakes : regardez « le dernier recours » avec Bruce Willis remake de «Yojimbo» vous comprendrez ce que je veux dire...

 

Gildas :

 

Désolé, mais Mononoké n'est pas un remake de Nausicaä.

Les films ont en commun des thèmes (l'homme et la Nature, la guerre) mais leur structure narrative s'articule autour de scénarios totalement différents.

Et surtout, les intentions du réalisateur ne sont pas les mêmes à 13 ans d'intervalle.

Le coeur de l'histoire de 'Princesse Mononoké' est une histoire d'amour presque impossible. Celui de l'histoire de 'Kaze no tani no Nausicaä', c'est le crescendo messianique du personnage principal.

Or donc, je ne suis point d'accord avec toi pour dire qu'il y a remake...

 

Farid (alias Boomerang Flash )

On voit bien que même avec des thèmes trés proches, voire communs, Nausicaä et Mononoké sont deux films différents. Je les verrai plutôt comme des œuvres-soeurs. Je suppose que Miyazaki a peut-être voulu utiliser tout son matériel en 84, dans la perspective ou il ne pourrait plus refaire d animation. Reste que plusieurs années après, ces thèmes sont toujours les siens, et il a voulu faire une variation sur ses thèmes, peut-être plus réfléchie et en y ajoutant une dimension supplémentaire... enfin, ça reste que mon avis...

 

T.U :

C’était surtout pour dire que la position de François Prioux [Animeland] est parfaitement défendable.

Dire que Mononoké est un remake de Nausicaä c’est une exagération volontaire de ma part comme c’est un euphémisme de dire qu’ils se ressemblent peu.

J’ai plutôt l’impression que vous parlez plus du fond que de la forme, et ce n’est pas un reproche mais une qualité.

Sur le fond Nausicaä est différent de Mononoké mais pas sur la forme, on retrouve plusieurs thèmes récurrents dans les œuvres de Miyazaki, les héroïnes courageuses, héros chevaleresques, l’hymne à la nature.

Si je simplifie grosso modo Nausicaä = Ashitaka :
les héros courageux compréhensifs;

Dame Eboshi = le général Kushana :
des personnages dont on aura tendance à dire « aime ton ennemi »;

Asbel = San se sont les intervenants dont le message est, pour reprendre ce qu’à dit Miyazaki : « le bonheur c’est compliqué »

Certains passages du film de Mononoké rappellent étrangement Nausicaä :

- la rencontre entre Asbel et Nausicaä =Ashitaka et San,
- le même combat au final : ce sont les héros (Ashitaka et Nausicaä) qui veulent absolument épargner la vie des nouveaux intervenants (Asbel et San) changeant dans les deux cas l’aspect linéaire de l’histoire,
- Et pour couronner le tous, la fin ou Dame Eboshi lutte contre le dieu-cerf et Kushana lutte contre les Omus, finalement tout le monde a tord ou a raison et s’en va dans sa contrée respective.
- Ashitaka retourne chez les hommes alors que San repart dans la nature, Nausicaä retourne dans la vallée du vent alors qu’Asbel retourne dans sa cité. Fin. On crie au plagiat « quel scandale ! »

Mais la vérité c’est que si on vous compare les films de cette manière, c’est à dire comme Animeland en utilisant ce qui a été dit dans des sites Internet divers et variés, on enlève beaucoup de la substance qui fait la différence entre les deux films.

Il faut donc parcourir le fond des deux films :

- l’un est dans le passé l’autre dans le futur,

- Ashitaka part à cause de sa malédiction alors que Nausicaä tente de sauver la vallée du vent.

- Les conflits dans Nausicaä sont dignes de ceux de la fameuse saga de J.R.R Tolkien, tandis que dans Mononoké on se rapproche plus des combats épiques de Kurosawa.

- Ashitaka se rapproche beaucoup plus du héros du « voyage de Shuna » que de Nausicaä, le héros d’ailleurs chevauche un cervidé identique à Yakkuru.

On peut aussi dissocier les œuvres par les fins : un happy-end contre une fin à la Casablanca, ça rejoint ce qui déjà été dit auparavant.

(…) Donc dire que Mononoké est remake c’est exagérer mais ne pas admettre que le film a une ressemblance avec Nausicaä, c’est perdre son œil de simple spectateur et sombrer dans le Fanatisme avec un grand F.

 

Mog :

Merci pour vos très intéressantes remarques sur le sujet.

On retrouve entre les deux films beaucoup de similitudes : structure d'ensemble, archétypes, situations...

Sur ce point il n'y pas de contestation possible. Par contre il est aussi indiscutable que le message est différent (l'article l'affirme aussi), comme vous l'avez signalé dans vos messages.

C'est donc sur l'interprétation de ces similitudes que chacun peut se faire une opinion. Certains comme F. Prioux, estiment que le film aurait été meilleur s'il s'était démarqué plus de Nausicaä. Pour ma part je trouve que cela est une qualité. Miyazaki en reprenant des thèmes communs montre l'évolution de sa pensée, de son état d'esprit. Il réalise avec Mononoké un film moins optimiste, plus "mature" (le terme n'est pas très bon, mais j'en ai pas d'autre en réserve). Le choix d'un background historique (mais fantastique) lui permet de plus s'investir la psychologie des personnages. On retrouve les mêmes archétypes, mais en plus poussé. Cela permet d'enrichir les interactions entre personnages, et donc les situations.

Je ne pense pas que ce soit par facilité que Miyazaki ait choisi de reprendre tant d'éléments de Nausicaä, mais au contraire pour apporter une nouvelle vision d'un thème qui lui est cher. Je trouve contrairement à Prioux que la comparaison de ces deux oeuvres les enrichis toute deux. Pour moi ce sont deux chef-d’œuvres...

Si j'avais pu poser une question à Miyazaki au forum des images, cela aurait surement été sur ce sujet.

 

Vincent :

(...) Je vais ajouter mon petit grain de sel ^^ à ce débat fort intéressant.

Je dirai que ces deux films peuvent paraître vraiment semblables à cause du caractère des personnages principaux du film et de leurs relations. C'est vrai qu'on ne peux pas faire abstraction de ce fait. Mais j'aurai tendance à dire que Nausicaä et Princesse Mononoké sont deux oeuvres différentes ; je m'explique.

La comparaison des 2 films me fait penser surtout à une sorte de revirement d'opinion de Miyazaki ; et reprendre les mêmes thèmes et des personnages similaires pour en faire quelque chose d'autre ne me semble pas tout à fait anodin. J'aurai tendance à dire qu'au court de sa carrière et de sa vie Miyazaki a changé sa vision du monde et on pourrait voir dans chaque film les évolutions et les nuances de ses opinions.

Avec Nausicaä et Mononoké, Miyazaki semble nous dire, les éléments du films sont les mêmes mais ma vision du monde a changé. Dans Nausicaä, tout se finit bien, les hommes se repentent et la nature aura toujours le dessus.

(d'ailleurs on pourrait aussi faire une comparaison entre Nausicaä et Conan le fils du futur)

Dans Mononoké il semble nous dire, malgré le fait que les hommes se repentent la nature n'est pas toujours aussi forte et d'ailleurs celle-ci a perdu une partie son âme dans la bataille. Le combat n'est pas toujours perdu pour autant, mais malgré la difficulté il faut essayer. (message que l'on retrouvera dans le voyage de Chihiro).

(…) Les films de Miyazaki se complètent plus qu'ils ne se ressemblent...

 

Gildas :

Je souscris au point de vue développé par Mog et Vincent.

En fait les deux films se répondent et se complètent sans jamais se plagier.

Et leurs points communs -très réels notamment sur les thèmes abordés- permettent une étude passionnante de l'évolution de Miyazaki...

 

 

Synthèse d'un débat sur le forum de Buta Connection