Article de Denis Brusseaux
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Adaptation par Hayao Miyazaki de son propre manga inachevé à l’époque, ce film faramineux impressionne encore aujourd’hui par la perfection de ses techniques d’alors et par les sensations vertigineuses des séquences de vol où éclate le talent en apesanteur du réalisateur de Porco Rosso. Mais il vaut aussi et surtout pour le charme incomparable de Nausicaä elle-même, première bénéficiaire des scènes inédites proposées par cette rarissime version intégrale (une demi-heure de plus que l’édition vidéo française). Nausicaä est ainsi l’œuvre de jeunesse ultime de Hayao Miyazaki, moins parce qu’il s’agit de son deuxième film que pour son exaltation des passions de l’enfance, littéralement fantasmées et sublimées à travers le personnage de Nausicaä, sans hésitation l’une des héroïnes les plus fédératrices qu’on ait jamais vu.

La Terre a été ravagée par une guerre technologique sans précédent. Il ne reste à sa surface qu’une poignée d’humains dispersés en peuplades, le reste de la surface étant recouvert d’une végétation toxique abritant des insectes géants. Dans la Vallée du Vent, contrée pacifique, la jeune princesse Nausicaä va devoir affronter de nouveaux envahisseurs ayant déterré une arme du passé pour détruire la Forêt Empoisonnée. Nausicaä seule est consciente des catastrophes que cela pourrait engendrer. Elle va devoir lutter pour sauver à égalité hommes, insectes et végétaux…

 

Nausicaä est à l’anime ce que Mad Max (II) est au cinéma d’action contemporain : une énergie projetée vers l’avant, une force qui va. Rien ne semble pouvoir l’arrêter ou la décourager, et encore moins la faire céder à la violence. Après une terrible colère où elle exécute les soldats meurtriers de son père, Nausicaä n’aura de cesse, tout au long du film, de réprimer en elle certaines pulsions vengeresses pour faire triompher envers et contre tout la seule Loi en laquelle elle croit : le droit à la vie, sans distinction de camp ou d’espèce. Elle renvoie ainsi dos à dos tous les protagonistes du film et, par son abnégation et son esprit de sacrifice, abat les barrières qui distinguaient les bons et les méchants. Tous ont tort dès l’instant qu’ils se rabattent sur la solution de facilité, le meurtre. C’est Nausicaä et elle seule qui confère à l’œuvre de Miyazaki sa cohérence définitive : par son intégrité absolue, bien éloignée du fanatisme car non reliée à une cause abstraite mais à une nécessité pratique s’imposant à toutes les convictions, elle nous fascine littéralement car jamais une telle confiance en soi, une telle passion inaltérable et impossible à remettre en question, n’avait animé un personnage en deux dimensions. Pétrie d’idéaux mais avant tout fille d’action, notre héroïne ne perd pas de temps en prêche ni en explications inutiles. Elle va là où on a besoin d’elle, et cette dévotion, qui ferait ricaner partout ailleurs, impose le respect tant Miyazaki y croit. Il lui confère d’ailleurs toutes les qualités (courage, gentillesse, compassion) mais intègre celles-ci à l’action, ne lui permettant d’en faire étalage et usage que fasse à l’adversité.

A milles lieux des héros poseurs dont nous abreuvent les manga habituels, Nausicaä recherche l’authenticité d’âme et de mouvement, et rarement un film avait autant mérité de porter le nom de son personnage-clé. Elle est le cœur battant de toute la fiction.

 

Les innombrables vertus de Nausicaä ne doivent pas faire croire à une naïveté de bibliothèque rose, à une idéalisation pour enfants romantiques. On l’a vu, par le caractère unique de sa personnalité, Nausicaä souligne l’absence de celles-ci dans le monde (humain) qui l’entoure et nie toute tentation manichéenne, les victimes comme les oppresseurs étant à un moment où à un autre connotés négativement (mis à part les habitants de la Vallée du Vent dont le rôle est de servir de chœur antique aux prouesses de la jeune aventurière), chacun y trouvant aussi, au final, une humanité nouvelle, et donc une grâce à nos yeux. Dans la perspective du film, il s’agit véritablement d’une renaissance de l’humanité qui doit faire le choix ultime entre son éradication définitive où son entrée dans une ère de paix recréée. Il est dès lors clair que le réalisateur place moins ses espoirs dans la nature (toujours envisagée non comme un paradis perdu mais comme une grande inconnue nécessitant un infini respect) que dans l’avenir de l’homme, c’est-à-dire la Jeune Femme, ou plus précisément la Jeune Mère. Nausicaä n’est pas une vision attendrie et magnifiée de l’enfance, mais plutôt l’incarnation idéalisée de la mère adolescente, la projection de l’image que l’on se fait de sa mère lorsqu’elle était jeune : forcément douce, protectrice, chaste, pure et généreuse. Soit les propriétés premières de notre Planète concentrées en un personnage symbolique appelant à la cohabitation des espèces. La métaphore est transparente.

 

 

Nausicaä porte ainsi sur ses épaules la dynamique complète du film. Ce sommet de la geste épique futuriste nous balade de scènes d’anthologie en moments de pure contemplation pastorale en alimentant une trame riche, pessimiste et lucide sur la nature des hommes. On en reste bouche bée d’excitation, d’admiration, on y a trouvé des sensations rarissimes de spectacle total.

Non, Nausicaä n’a pas vieilli d’un plan, non il ne s’agit pas d’un brouillon de Mononoke.

Oui, c‘est un chef d’œuvre absolu.

Denis Brusseaux
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