Complémentarité et opposition des personnages
par Pierre

Plus d'un an déjà après sa sortie sur les écrans français, le film Princesse Mononoké suscite toujours autant de questions et de réflexions chez ceux qui le découvrent.

Voici les miennes, fruit d'un échange avec Gildas. Ce n'est pas grand chose, mais cela permettra sûrement à d'autres de pousser plus loin leurs pensées…

 

Le sujet de ma réflexion a été la façon dont les 4 personnages principaux se complètent. Ils forment, à mon humble avis, à eux quatre, toutes les facettes de l'âme humaine.

Ashitaka représente les qualités de chacun, le côté " bon " de l'Homme.

Dame Eboshi est son opposée, symbolisant notre côté violent et destructeur.

Elle est plus ou moins accompagnée par Jiko, qui représente le côté cupide, manipulateur de notre intelligence.

Et enfin, celle qui donne son nom au film, San, la princesse Mononoké, incarne le côté instinctif, animal de l'Homme.

 

Commençons par le commencement

Ashitaka montre tout au long du film qu'il est respectueux envers la nature, les personnes et les traditions. Il parle au démon Nago avec des supplications, et non des ordres, il va chercher les corps des blessés dans la rivière, et gronde sa " petite sœur" quand celle-ci le regarde s'en aller, ce qui est interdit par les règles de son clan.

Il est un grand guerrier, habile à l'arc comme à l'épée, mais il refuse la violence, ne l'acceptant qu'en cas d'extrême nécessité, et s'en veut lorsque le sang coule. De plus, il sait être patient, - Gildas l'a expliqué - lorsque, tout à la fin du film, San repart dans sa forêt, sa rancœur pour les humains étant encore trop forte.

Exactement à l'opposé, dame Eboshi ne respecte rien - et les bouviers le disent clairement à Ashitaka -, faisant travailler les femmes, laissant les blessés tombés dans le fleuve à leur triste sort, et partant faire la chasse aux dieux. C'est une femme -et à cette époque, très rares étaient les femmes qui se battaient- et pourtant elle manie l'arquebuse et développe même cette arme. Ce qui me choque est de voir qu'elle laisse ses guerrières tirer sur San qui est seule et armée d'un simple coutelas. Le summum de la violence.

Pour ce qui est de la patience, je crois pouvoir dire qu'elle ne la connait pas, vu qu'Ashitaka l'énerve lorsqu'il montre à tout va les " tentacules de la haine " et leur fait la morale. Il y a un élément positif à ce tableau noir : les lépreux qu'elle a recueilli. Mais je pense que Miyazaki, l'auteur, n'a pas voulu faire d'elle un personnage trop antipathique, ce qui aurait considérablement dégradé le film. Et puis, n'oublions pas qu'elle les exploite.

 

Autre figure négative, Jiko. Il représente un côté généralement inconscient de l'humain. L'empereur l'a acheté, et lui-même achète des guerriers pour rapporter la tête du dieu de la forêt à son maître. Même lorsqu'il vient en aide à Ashitaka, dans le village, je pense qu'il compte bien profiter de la bourse et de la force de ce dernier.

Un personnage se bornant aux biens matériels, et par conséquent, passant à côté de beaucoup de choses…

 

Enfin, celle qui donne son nom au film, San, donne une impression de vivacité plus qu'humaine, toujours en mouvement. Son côté animal la pousse à aller se battre pour une noble cause, sauver sa mère (et notre mère à tous !), mais l'empêche d'assumer ses sentiments humains. En effet, remarquez que jamais elle ne dira à Ashitaka son amour pour lui : chose normale, dire " je t'aime " n'est pas naturel !

De plus, on retrouve son instinct au moment de partir à la guerre, au moment où elle tourne la tête rapidement, "sentant" un danger (selon moi).

Si l'on considère le changement des personnages à la fin du film, on peut voir une amélioration dans l''âme' humaine. En effet, Dame Eboshi se repent, repartant sur de nouvelles bases et Ashitaka n'est plus malade, n'a plus de haine. Jiko est irrécupérable, et n'a pas changé, je crois. San, quand à elle, repart, encore trop blessé, mais semble avoir évolué, car me semble plus calme au moment de son départ…

Pierre

 

Pour continuer par Gildas

Pierre m'a relancé sur la piste des oppositions entre personnages.
Voici ce que ça donne.

 

"Ashitaka représente les qualités de chacun, le côté « bon » de l'Homme."

C'est vrai que c'est la référence morale du film. Mais il est maudit, condamné à souffrir de sa malédiction jusqu'à la mort, et banni à jamais de sa communauté. En dépit de son regard lucide, il utilise à plusieurs reprises le pouvoir de cette malédiction pour tuer. C'est peut-être lui qui réalise les actions individuelles les plus violentes du film...

 

 

 

"Dame Ebochi est son opposée, symbolisant notre côté violent et destructeur."

Elle détruit la forêt, massacre les sangliers et décapite le Dieu-cerf. En ce sens elle est violente et destructrice. Mais elle a sauvé de nombreuses filles de la prostitution, a soigné des lépreux et donné une nouvelle chance à la population des forges. C'est aussi une bâtisseuse, qui rêve d'un monde de paix et de prospérité... du moins pour son clan.

"Elle est plus ou moins accompagnée par Jiko, qui représente le côté cupide, manipulateur de notre intelligence."

Ah, celui là, j'avoue avoir du mal à trouver des arguments en sa faveur. Il vient en aide à Ashitaka sur le marché, et lui fait la cuisine le soir, puis lui indique la direction de la forêt du Dieu-cerf. Mais ces côtés positifs apparaîssent vite entâché d'arrières-pensées particulièrement nauséabondes.

 

 

"Et enfin, celle qui donne son nom au film, San, la princesse Mononoké, incarne le côté instinctif, animal de l'Homme."

Voila en effet un personnage qui n'agit ni avec arrières-pensées, ni pour manipuler les autres, ni avec lucidité. San est entière. C'est un bloc d'animalité et d'énergie vitale, dont l'âme pourtant humaine est enfouie sous la douleur et la haine. Mais cette humanité va être révélée par Ashitaka pourtant aux portes de la mort.

 

Mais où diable veux-je en venir ?

Tous ces personnages ont en eux du ying et du yang. Pas dans les mêmes proportions, certes, ni de même nature. Mais chacun a sa part d'humanité, de qualités et de défauts.

Je croyais moi aussi au début avoir trouvé les correspondances suivantes :

San (= La Nature) opposée à Eboshi (= la civilisation)

Ashitaka (= la pureté) opposé à Jiko (= la corruption)

 

Mais San est humaine, Eboshi a quitté la cour (et la civilisation !), Ashitaka est souillé par sa malédiction. Et même si Jiko a agit avec de mauvaises intentions, il a tout de même aidé Ashitaka, et une bonne action reste une bonne action.

Donc tout cela, c'est de la facade, Mononoké Hime résiste à une simple typologie des personnages.

 

Du coup, les oppositions (il y en a !) se trouvent plutôt dans les valeurs qu'incarnent chacun des protagonistes.

Quelles sont ces valeurs (là, il y a de quoi débattre, mais je me lance).

 

Ashitaka : l'homme qui veut voir la réalité avec un regard lucide. Le regard lucide (= attention juste) est un des 8 éléments du sentier octuple de la voie Bouddhiste.
Ashitaka est clairement le défenseur des valeurs spirituelles. Quand on réfléchit à ses actions, à ses paroles et à l'attention qu'il porte à autrui, on retrouve tous les signes d'une mise en pratique spirituelle.
Ashitaka a des valeurs Shintoïstes/Zen. (Les deux philosophies avaient fusionné au Japon à cette époque). Le respect de la vie, la compassion et l'équilibre entre les extrêmes sont ses 'leitmotiv'.

San : la fille sauvage. Abandonnée par les humains, élevée par les loups, elle voit le monde qui l'entoure avec un regard d'animal. La défense de la forêt, c'est la défense de son territoire, de son espace vital. Cet espace lui a permis de se construire une vie, sa vie, mais c'est aussi le lieu de vie d'une multitude de créatures qu'elle a appris à respecter, et qui sont en interdépendance. De façon tout à fait instinctive, San perçoit ce lien vital entre les les êtres vivants et la Terre. C'est pour la sauvegarde de ce lien qu'elle se bat avec férocité. Son combat est bien plus qu'une défense de la Nature.

Eboshi : La civilisée. C'est aussi une femme meurtrie. Quand elle dit aux filles de ne pas se fier aux hommes pour les protéger, cela en dit long sur ce qui a pu arriver à cette ancienne courtisane. Le combat d'Eboshi est une quête de dignité humaine. Pour elle-même, certainement, car elle veut prendre sa revanche sur une société impitoyable pour les femmes. mais aussi pour ceux qui forment la communauté de Tatara-Ba. C'est une idéaliste, et son ambition de créer des arquebuses que les femmes puissent manier montre à quel point la cause féministe lui tient à coeur. Mais pour ça, elle doit obtenir de l'empereur le droit de diriger sa communauté, et le prix est cher...

Jiko : l'homme de l'ombre. La principale valeur défendue par Jiko est... Jiko lui-même. Cet homme est l'égoïsme personnifié. toutes ses actions ne sont motivées que par une chose : ce qu'il va, lui, en tirer ensuite comme bénéfice. Il n'a aucune question dérangeante à se poser, aucun état d'âme, et aucun désir de changer le monde. 'C'est ce monde qui est maléfique' dit-il. Jiko n'est ni méchant ni stupide. Il s'est juste trouvé une place qui lui plaît, et se contente d'user de sa grande intelligence pour obtenir ce qu'il veut de ses subordonnés et se faire bien voir de ses supérieurs.Si j'osais (allez, j'ose) je dirais que Jiko incarne les valeurs du capitalisme, et des pouvoirs qui lui sont associés.

 

Au final, cela nous donne deux idéalistes prêtes à tout pour s'étriper ( San et Eboshi), un résigné matérialiste profiteur (Jiko) et un sage pragmatique, lucide, mais amoureux (Ashitaka).

Toute la structure du film conduit à dépasser le conflit des idéalismes, qui ne mène qu'au chaos et à la destruction.

 

Le conflit Civilisation/Nature ne peut trouver d'issue, car l'homme ne peut vivre sans la Nature, et ne peut pas non plus vivre sans la Civilisation.

 

En revanche, le dépassement de ce conflit en révèle un autre : celui qui oppose finalement Jiko et Ashitaka : celui du matérialisme aveugle contre le réalisme lucide.

En ce sens, je crois que Princesse Mononoké annonce les grands enjeux qui attendent nos civilisations dans ce nouveau siècle. Le 20ème siècle a sonné le glas des idéologies, et pose d'énormes doutes sur le matérialisme capitaliste. Pour autant, nous prenons conscience que nous avons besoin de la science et de la technologie, mais que ni la science ni la technologie ne peuvent à elles seules construire un monde harmonieux.

Ce monde ou Hommes et Dieux vivent en paix est une utopie, que la folie des hommes empêchera toujours. Mais nous pouvons essayer d'avoir le regard lucide d'Ashitaka, de préserver autour de nous ce qui peut encore l'être, de mener des actions qui méritent d'être tentées, et d'espérer trouver là un sens suffisant à notre vie...

 

Gildas