La mise en scène
selon Gildas Jaffrennou

 

Définir la mise en scène n'est pas trop difficile.

Mettre en scène est une tout autre affaire.

Selon Alain Resnais, le metteur en scène de cinéma doit être un maître de l'espace, et surtout du temps. Son ami Chris Marker ajouterait sans doute que la matière véritable avec laquelle nous travaillons est la mémoire du spectateur.

 

Montrer ou ne pas montrer

En fiction, nous nous appuyons sur un principe essentiel dès l'écriture du scénario, et que la mise en scène doit prolonger : la suspension consentie de l'incrédulité (willing suspension of disbelief). Concrètement, les premières images d'un film nous invitent dans un univers où le spectateur a envie d'entrer, et dont les règles peuvent être très différentes de la vie réelle.

Il s'agit donc, lorsqu'on décide des premières images qui vont apparaître, de savoir ce qu'on cherche à créer dans la tête du spectateur.

 

Créer de l'espace

L'écran (de télévision ou de cinéma) offre un point de vue limité par essence.

Nous offrons au spectateur un champ visuel, et un champ sonore...

Le champ visuel est défini par un cadre bien limité, mais le champ sonore, lui peut exister bien au delà des limites de la vision. Ainsi, mettre en scène ne revient pas seulement à décider de ce qui se trouve dans le champ visuel et dans le champ sonore. Il s'agit aussi d'établir ce qui se déroule en dehors, et la façon dont les éléments vont entrer et sortir de notre perception visuelle et auditive. En d'autres termes, il faut travailler le hors-champ : autant le hors-champ visuel que le hors-champ sonore !

L'espace dans lequel se déroule l'histoire n'est pas celui de l'écran, ni même celui défini par l'ambiance sonore : La mise en scène doit faire exister un espace dans la tête du spectateur.

Tout ce que le spectateur ne voit pas mais dont l'existence lui est suggérée, il va l'imaginer.

règle des 180° (champ-contre-champ)

deux personnages en interaction (regards, dialogues, gestes) définissent une ligne imaginaire, qu'on appelle aussi axe imaginaire. Durant toute la scène, la caméra ne doit pas franchir cet axe entre deux plans consécutifs. Pour changer de côté, il faut théoriquement une des conditions suivantes :

- que les personnages se déplacent
- que la caméra se déplace
- qu'un nouveau personnage/élément entre dans le champ et crée une interaction définissant un nouvel axe des 180°

règle des 30°

Entre deux plans consécutifs, l'axe de la caméra doit être décalé d'au moins 30° pour éviter la sensation d'une "saute" lors du raccord.

L'espace sonore, plus important que l'espace visuel

Ce qui nous est donné à voir dans le cadre de l'image de cinéma est toujours limité par rapport aux sensations que peut créer une ambiance sonore. En fait, le ressenti du spectateur quand à l'espace diégétique repose davantage sur le son que sur l'image.

Le hors-champ, les sons OFF, sont des moyens essentiels pour stimuler son imagination.

Retenez cette première règle fondamentale :

Ce que le spectateur imagine est presque toujours bien plus fort que ce que vous pouvez lui montrez. Montrez lui-en moins, il imaginera plus... et aimera davantage le film.

Des exemples concrets ?

- Alien de Ridley SCOTT (1979) : on ne voit jamais la créature entièrement sauf dans la toute dernière scène du film... la moins effrayante.

- Psychose d'Alfred Hitchcock (1960) : lors de la célèbre scène de la douche, on ne voit jamais le couteau planté dans le corps de Marion Crane. Le meurtre nous est entièrement suggéré par des images indirectes. Et c'est le meurtre le plus célèbre de l'histoire du cinéma.

- Poltergeist de Tobe Hooper -avec la collaboration non officiele mais indéniable de Steven Spielberg (1982) : Presque rien ne nous est montré de l'univers parallèle dans lequel la petite Carol-Anne disparait, ce qui rend cet endroit beaucoup plus angoissant.

- La planète sauvage de René Laloux : toute la scène d'introduction nous montre une jeune femme en train de fuir, menacée par des mains bleues énormes, dont les propriétaires restent hors champ. Cela accentue la sensation d'oppression que nous partageons avec le personnage, et crée une attente pour nous spectateurs.

Effets de focalisation

Qui suivons-nous au cours du récit ? Avons-nous toujours le même point de vue, ou bien au contraire accompagnons-nous d'abord un personnage, puis un autre ?

A moins que notre regard suive toute l'histoire de l'extérieur, sans s'attacher plus à un point de vue qu'à un autre.

On peut également , au cours d'un même récit, procéder à des changements de focalisation. C'est ce qui se passe dans la plupart des films, selon l'effet recherché.

La manière dont vous abordez cette question est décisive, car elle définit la façon dont le spectateur se positionne par rapport au récit. Souhaite-t-on (ou non) qu'il s'attache à un personnage ? Doit-il tout savoir des actions des protagonistes ? Doit-il en savoir plus que les personnages, pour faire jouer un effet d'ironie dramatique ? Ou bien faut-il qu'il en sache moins, pour générer des effets de surprise ? Dans certains cas, ces questions sont en partie traitées dans le scénario (en vérité, elles devraient être totalement traitées dans le scénario !).

Quand on prépare un tournage, puis qu'on fait effectivement le film, ces questions de focalisation balisent tout le travail du metteur en scène.

Il est extrêmement important de savoir à quoi sert ce que vous montrez, avant de décider comment vous aller le montrer. Plus précisément, il s'agit de bien intégrer la fonction dramatique de la scène.

 

Dans un scénario bien construit, chaque scène intègre plusieurs fonctions dramatiques : informer le spectateur, semer les germes de la scène suivante, caractériser les personnages, donner des indices au spectateur et/ou au personnage, préparer un retournement de situation...

Les scènes doivent aussi intégrer des effets dramatiques : surprises, suspens, rebondissement, peur, passion, tristesse, agoisse, soulagement...

La position de la caméra dans la scène n'est pas seulement un moyen d'obtenir un cadre précis : C'est aussi une position dans l'espace scénique, qui peut être en dehors de l'action, juste à côté, ou même à l'intérieur...

Or cette caméra, c'est le regard du spectateur. Il ne va pas du tout vivre le film de la même façon selon la place que vous accordez à son regard, c'est à dire la place que vous lui donnez par rapport aux évènements !

Avons-nous plutôt besoin d'un plan large pour voir quelle est la situation d'un personnage, ou devons-nous simplement faire un gros plan sur ses yeux sans montrer de suite ce qui arrive ?

Peut-il se passer quelque chose hors-champ, près de la caméra (c'est à dire près de nos yeux et de nos oreilles...) ?

Dans quels cas est-il intéressant d'utiliser un plan séquence ?

Quels dispositifs scéniques peuvent éviter de recourir au champ/contrechamp classique ?

Un travelling n'est pas un zoom

Zoom et travelling permettent de modifier durant un plan la taille apparente des éléments filmés. Le zoom se fait par une modification de la focale sur la caméra durant la prise, tandis que le travelling implique un déplacement physique de la caméra.

Avec un zoom, nous obtenons un effet optique, qui joue principalement sur la largueur et la profondeur de champ.

Avec un travelling, la largeur du champ reste la même, mais notre point de vue se déplace dans l'espace scénique.

Combiner zoom et travelling permet de créer des effets complexes, appelés TRANS-TRAV (ou travelling compensé).

Raccord dans l'axe

Si le raccord entre deux plans consécutifs se fait dans le même axe, il faut changer la valeur de plan d'au moins deux niveaux (par exemple en passant d'un Gros Plan à un Plan Moyen).

Parfois, on veut à tout prix innover, et faire fi de certaines règles d'écriture visuelle, alors que c'est précisément par une épure très académique que l'effet scénique serait le plus réussi.

Prenez Funny Games US de Mickaël HANEKE (2007). Voyez à quel moment le réalisateur fait des mouvements de caméra. Est-ce vraiment original ? Ici, une mise en scène très classique était de très loin le meilleur choix pour montrer des personnages qui eux ne le sont en rien... Dans cet exemple, la focalisation est presque tout le temps sur les victimes... sauf à la fin lorsqu'ils ont tous été tués évidemment. 

Si vous revoyez Le Doulos de Jean-Pierre MELVILLE (1962), vous verrez qu'il n'y a pas de focalisation sur les personnages. Tout nous est montré d'un point de vue extérieur, nous ne savons rien de leurs motivations ni de leurs intentions. Tout ceci pour préparer un twist final qui donne au récit un sens bien différent de celui qu'on pouvait imaginer tout au long du film.

Quelques grands cinéastes, comme Jean RENOIR dans la Règle du jeu (1939), parviennent à nous faire passer d'un point de vue à un autre tout en gardant une certaine distance critique avec les personnages. Ce n'est plus seulement une question de focalisation. Les choix d'angles, d'axes et de valeurs de plan sont bien entendu décisifs pour y parvenir, et ces choix sont consécutifs à des intentions narratives et dramatiques que le réalisateur et son équipe doivent traduire en langage cinématographique.

Tourner, c'est préparer le montage

Ça peut paraitre évident, mais un film étant une succession de plans, la mise en scène est de fait une préparation du montage.

Hitchcock par exemple, découpait ses films, dessinait les story-boards, et ne tournait que les images prévues dans son découpage. Lorsqu'il fallait monter les plans, il n'y avait généralement qu'une seule façon de le faire : celle qu'il avait prévue. Saviez-vous qu'Hitchcock a commencé sa carrière au cinéma dans une salle de montage ?

 

Bien des choses dans un film peuvent se résoudre au moment du montage, cependant, on ne peut pas créer dans la salle de montage les plans et les images dont on se rend compte soudain qu'ils sont absolument nécessaires.

C'est pourquoi il est très important, surtout quand on a peu d'expérience, de procéder pendant la pré-production à un découpage technique : cela consiste à prévoir, pour chaque scène, le nombre de plans à tourner ainsi que les axes et les valeurs de plan.

Quand on tourne une scène, on doit bien réfléchir à l'axe à partir duquel on tourne le plan-maître (Master shot), sur lequel on pourra s'appuyer au montage lorsqu'on aura un problème de transition.

La hauteur de la caméra

Pour avoir un point de vue neutre, l'objectif doit se trouver au niveau des yeux du (ou des personnages).

Si la caméra est plus haute, et inclinée vers l'avant, on a une plongée. Plus la plongée est forte et plus le personnage filmé est écrasé et dominé.

Quand l'objectif de la caméra est plus bas que les yeux du sujet, on a une contre-plongée. Ce point de vue amplifie la présence du sujet filmé, donne la sensation qu'il contrôle la situation.

Lorsqu'on met en scène des personnages présentant de grandes différences de taille, la hauteur de la caméra induit souvent une focalisation avec les personnages qui sont à sa hauteur. C'est particulièrement important d'y penser lorsque les protagonistes sont des enfants... ou des hobbits !

EN CONSTRUCTION

mise à jour le 10 juin 2016

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