MARINCHE par Eric Nicolas

De la réalité...

Nombreuses furent les figures singulières qui se détachèrent lors de l' "épopée" des conquistadores. Parmi elles, celle qui fut connue sous les noms de Malinché (pour les "Indiens" locaux), de doña Marina (pour les Espagnols) et que les scénaristes des Mystérieuses Cités d'Or nous ont présenté sous celui de Marinché. Il est à noter que les "Indiens" désignaient également Cortès sous le nom de Malinché, établissant un significatif amalgame entre les deux personnages.
Marinché (nous la nommerons ainsi, pour simplifier) était la fille d'un cacique, d'ethnie aztèque, offerte par un autre chef aux Espagnols en guise de présent de réconciliation suite à une bataille. Remarquant sa beauté, Cortès en fit rapidement sa maîtresse (1519). Le conquistador n'allait pas tarder à se rendre compte que la belle avait d'autres atouts. De fait, en raison de son apprentissage très rapide de l'espagnol, elle lui fut d'une très grande aide dans la compréhension de la situation locale. Ainsi, grâce aux renseignements qu'elle lui fournit, Cortès put-il être au fait de l'hostilité latente des tribus vassales du royaume aztèque vis à vis de leurs "suzerains"(en raison notamment des prélèvements massifs de jeunes hommes devant être sacrifiés sur le grand autel de la pyramide de cette fabuleuse cité qu'était Technotitlan). Marinché contribua également à conjurer plusieurs complots fomentés par le souverain aztèque, Montezuma, afin d'écarter la menace représentée par ces hommes blancs et barbus, chevauchant des créatures monstrueuses, et tenant des bâtons crachant le feu. Faisant partie de ce que l'on pourrait nommer "l'état major" de Cortès, Marinché resta à ses côtés et joua un grand rôle jusqu'en 1524, lorsque, durant une expédition dans le Yucatán, le conquistador la maria à un gentilhomme castillan de sa suite.
Marinché sortit ainsi de la vie de Cortès, mais très vite la légende s'empara de sa vie. Légende noire s'il en est... De fait, le souvenir de Marinché reste de nos jours honnis au Mexique, où elle est considérée comme la "honte nationale", en raison de sa "trahison". Cette vision peut cependant être nuancée. N'oublions pas le contexte mexicain en 1519: ayant asservi de nombreuses tribus, les Aztèques exerçaient sur eux un pouvoir ressenti comme très oppressif (rappelons "l'impôt du sang" pour les sacrifices). Marinché, si elle était d'ethnie aztèque, n'appartenait pas aux classes dirigeantes du royaume Mexica, et symbolise bien ce ressentiment des vassaux de Technotitlan. Un tel ressentiment joua d'ailleurs en faveur de Cortès, qui put, en plus de sembler être le fameux "serpent à plume", apparaître comme un libérateur, et disposa de l'apport non négligeable de milliers d'auxiliaires "indigènes"(alors que les Espagnols n'étaient qu'au nombre de quelques centaines). Mais, on le sait, même si Cortès, chrétien sincère, ne semble pas avoir été un vulgaire et impitoyable aventurier(du style de Pizarro), la suppression des sacrifices humains fut sans doute l'unique point positif de cette conquête, car, en dépit de la grande prospérité de ce qui allait devenir le royaume de Nouvelle-Espagne, des civilisations et leurs cultures disparurent irrémédiablement.

...à la fiction

Marinché est, avec Pizarro, l'unique personnage historique à jouer un rôle dans les Mystérieuses Cités d'Or. Se basant selon toute vraisemblance sur la "légende noire" de la maîtresse de Cortès, les scénaristes nous en offrent un portrait sans concessions, où en relever des traits positifs relève de la gageure.
Accompagnée de son acolyte Fernando Lagueirra, dit "le docteur", ancien compagnon de Cortès et dont seule la fourberie semble avoir une certaine ampleur, ainsi que de Tétéola, un colossal maya lui étant tout à fait dévoué et commandant à quelques guerriers, elle est, tout comme le médecin(ou soi-disant tel) à la recherche des Cités d'Or. Association malfaisante s'il en est, l'un et l'autre ne manquant pas de projeter de se débarrasser de l'autre dès que possible.
Historiquement, on pourrait situer cette action environ une dizaine d'année après l' "abandon" de Marinché par Cortès.
L'image qui est donnée d'elle est bien celle de la traîtresse. La quête, exclusivement cupide(à l'inverse de celle des enfants) des Cités d'Or la place sur le même pied que des individus tels Pizarro ou Gomez. Elle projette ainsi de dépouiller les siens, se révélant l'égale des "pillards" venus d'outre-Atlantique. De plus, son implication dans les événements de 1519-1521 est évoquée par ces propos de Mendoza: "c'est la pire des créatures; à elle seule, elle a fait plus de mal aux Aztèques et aux Mayas que Cortès et tous ces hommes réunis".
Marinché est peut-être le personnage le plus inflexible de la série. Les seules passages où elle semble monter une certaine douceur nous laissent assez clairement apparaître qu'elle est uniquement mue par l'intérêt. Ainsi lorsqu'elle tente de détacher les enfants de Mendoza, ou, certes à degré moindre, lorsqu'elle déplore le sort réservé à Tétéola par les Olmèques (a-t-elle réellement de l'affection pour lui? Je pense qu'il s'agit surtout pour elle de se le garder attaché vu qu'il exerce un commandement sur certains Mayas, et qu'elle déplore, en le voyant dans le réservoir, son propre sort).
Superbe créature, Marinché ne semble avoir d'égale à sa beauté que sa froide détermination à trouver les Cités d'Or.
On le voit, il n'y a guère de nuance dans la présentation qui nous est faite de ce personnage, c'est pourquoi il m'est apparu nécessaire de rappeler plus haut qui fut le personnage réel. Pour moi, l'intérêt premier de ce personnage est que, par son biais, les auteurs des Mystérieuses Cités d'Or nous enseignent qu'il serait hasardeux de faire une classification systématique entre "bons" Indiens et "mauvais" Espagnols, même s'il ne s'agit évidemment pas d'un quelconque révisionnisme historique visant à légitimer les atrocités de la conquête (la nuance n'étant nullement synonyme de négationisme). L'association, d'une part d'être malfaisants (Marinché et le docteur), d'autre part d'enfants à l'âme noble et désintéressée, donc dans les deux cas de personnages d'origines diverses, va dans ce sens.

Eric Nicolas


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