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Réalisé
entre 1979 et 1981 par René Laloux d'après un
roman de Stephen Wul Tous
les dessins originaux sont de Moebius (Jean Giraud), |
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Plusieurs éléments m'ont marqué dans ce film. D'abord, le style de dessin si particulier à Moëbius, et auquel l'animation a su rester fidèle. Mais surtout le scénario : tout en suivant une trame qui laisse croire à un récit initiatique, Laloux nous entraîne en fait vers un final absolument inattendu et d'une rare émotion. Bien sur, sur le strict plan graphique, le film supporte mal la comparaison avec d'autres productions animées de la même époque. Un certain Miyazaki réalisait 'Kaze no tani no Nausicaä' en 1982-83... Pourtant, bien que l'un des principaux personnages soit un enfant, on ne peut pas dire que c'est juste un film pour enfant. On y côtoie la beauté et l'amour, mais aussi la souffrance, la haine, le totalitarisme et la mort. C'est pourquoi ce film occupe dans mon coeur une place particulière. |
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Le film raconte l'histoire du petit Piel, un enfant de 5 ou 6 ans qui se retrouve seul et perdu sur la lointain et dangereuse planète Perdide. Avant de mourir, son père a eu le temps d'appeler son grand ami Jaffar à la rescousse. Jaffar fait alors tout de son coté pour rallier Perdide et sauver Piel, auquel il n'est relié que par un micro à transmission instantanée. Sur sa route, il récupère le vieux Silbad, baroudeur spatial en retraite, et deux étranges petits gnomes, Jade et Yula. |
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Pour parvenir à Perdide, il faut attendre le passage de la comète bleue, dont le champ magnétique doit permettre au vaisseau d'approcher Perdide. Mais Jaffar a aussi à son bord le Prince Matton, un exilé sans scrupule qui a fuit sa planète en emportant la moitié du trésor public de son pays. Le déroutement du vaisseau vers Perdide ne fait pas du tout son affaire, et il n'aura de cesse, par les plus vils moyens, d'empêcher le voyage. Matton est accompagné par Belle, une jeune femme dont on ne sait pas grand chose, si ce n'est qu'elle a du coeur. |
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La fuite du Prince sur la planète Gamma 10 est l'occasion d'un des passages les plus surprenants du film, quand pour vaincre l'entité qui essaie de les absorber, Le prince doit se renier lui-même, se sacrifiant dans l'opération. Il faut se rappeler qu'à l'époque, la guerre froide faisait encore rage, et que les mots 'Communisme' et 'Union Soviétique' inspiraient à beaucoup de gens une grande inquiétude. Mais même aujourd'hui, à l'ère de la mondialisation, ce refus de l'uniformité, qui va jusqu'au sacrifice de soi, ne peut pas laisser indifférent. Cette image du Prince qui se sacrifie pour détruire l'Entité par ses propres armes, ne trouve-t-elle pas aujourd'hui un tout autre écho ? |
Le cri de guerre des moines combattants de Goimar 35.
La faune et la flore de Perdide contiennent de nombreux dangers, auxquels il est bien difficile de faire face quand on n'a que 6 ans. Et un simple micro, c'est fort peu pour aider un enfant à survivre. Pourtant, entre les chansons à boire et le célèbre cri de guerre des moines combattants de Goimard 35 (idéal pour faire fuir les bestioles gênantes), Silbad se montre d'une remarquable efficacité, et prodigue à Piel une foule de bons conseils. il faut dire que Silbad connaît bien Perdide... Cette référence à la planète Goimard 35 est probablement un clin d'oeil au projet porté par Jacques Goimard, dont la Grande Anthologie de la Science-Fiction était en cours de publication dans les années 80, et qui a finalement dépassé les 35 volumes initialement prévus... |
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Moebius a intégré quelques types de personnages qu'on a plus l'habitude de voir dans la série 'L'Incal'. L'influence de Maître Jorodowsky n'est pas bien loin... Les bureaucrates de l'Alliance Réformée Interplanétaire sont puants et corrompus à souhait, et les pirates secourus sur Gamma 10 forment une réjouissante brochette d'individus à la fois louches et sympathiques. Le film n'est pas tendre avec l'ordre établi et les institutions. On peut même dire qu'un esprit post-soixante-huitard assez prononcé souffle sur toute l'oeuvre. |
Autre point qui donne au film une vrai dimension poétique, c'est la place donnée aux personnages secondaires. Finalement, Jaffar (le 'héros') n'intervient dans des moments-clé que deux ou trois fois. Pour certaines scènes, c'est le paysage et la faune des planètes visitées qui passent au premier plan. |
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Le cycle de la vie (attention, spoilers)
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Le moment le plus fort du film est tout de même la fin, juste avant la mort de Silbad. On comprend alors que Piel a été sauvé, mais qu'à cause des Maîtres du temps, il a été projeté dans le passé, amnésique. Il a ainsi vécu sa vie d'homme, est devenu un baroudeur de l'espace, a fait fortune, et après bien des années, a pris sa retraite. |
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C'est aujourd'hui un vieil homme qui termine sa vie. Une vie qu'il a vécu sans jamais connaître son vrai nom, ni ses origines. Même ses amis les plus proches ne lui connaissaient d'autre nom que... Silbad.
Le sentiment que laisse cette fin est une émotion
très mélancolique. On ne peut pas
s'empêcher d'y repenser. Piel l'enfant a été sauvé. Silbad le vieil homme est mort . Où est la justice dans cette histoire ? La justice, on la ressent au moment ou le Prince Matton se sacrifie, rachetant ainsi ses fautes. Mais quelle justice trouver dans la mort de Piel/Silbad ? Si je parle de justice, c'est sans doute parce que c'était ma préoccupation quand j'ai vu ce film en 1984 (j'avais 15 ans). Aujourd'hui, je me dis que ce film est une magnifique occasion de réfléchir au cycle de la vie. Notre culture magnifie les enfants et l'enfance. Dans les journaux, la mort d'un enfant est toujours traitée avec beaucoup plus d'emphase que cette d'un adulte ou d'une personne âgée. Pourtant, les personnes âgées ont toutes
été des enfants. Comme Silbad. Comme Piel. Et cela nous replace, nous qui voyons ce film entre ces deux bornes de notre vie, dans cette perspective un peu effrayante que nous faisons tout pour oublier : nous allons mourir. Et si nous avons des enfants, ils vont mourir, eux aussi. Et pourtant, il y a de merveilleuses choses dans l'univers, à voir et à vivre. Quand on garde à l'esprit que notre vie, elle, a un début et une fin, ce que nous choisissons d'en faire prend soudain une drôle d'importance... Je vous laisse méditer là dessus, en écoutant un extrait de la bande-son du film :
Les desseins des maîtres du temps Reste la question de la nature des maîtres du temps et de leurs desseins, non résolue dans le livre de Stephan Wul, ni dans le film de René Laloux. Peut-être que le point essentiel, est justement que nous ne sommes pas maîtres de notre propre temps, qui file et nous entraîne de l'enfance à la vieillesse sans qu'on ne puisse avoir sur lui la moindre prise. D'un autre côté, l'oeuvre de Stephan Wul, cet écrivain qui a traversé l'histoire de la science-fiction française "tel un météore" (cf la jacquette de ses livres chez Robert Laffont), est marquée par des fins souvent abruptes et radicales, des fins "à chute" qui opèrent des changements de perspective vertigineux. Wul n'écrivait pas vraiment pour les enfants, et René Laloux ne visait pas spécialement ce public lui non plus. Du moins, pas dans un esprit enfantin. D'une certaine façon, il dit aux enfants qu'ils vont mourir, tout en rappellant aux adultes qu'ils ont été des enfants. Ces deux choses là ne sont ni légères ni superficielles. René Laloux est mort en 2004 dans l'indifférence générale. En 2006, une grande rétrospective de son oeuvre, ainsi qu'une exposition de ses tableaux, fut organisée à Hiroshima au Japon, lors du festival d'animation qui s'y déroule tous les deux ans. Depuis, y est décerné à chaque édition le prix René laloux, qui récompense une oeuvre pour son originalité et son inventivité.
Si les films de René Laloux vous intéressent : http://ygam.fr.st
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