Voyages de Gulliver dans des contrées lointaines
1726
Jonathan Swift

Il s'agit, pour nous, de la troisième partie des voyages de Gulliver, le "voyage à Laputa, Balnibarbi, Luggnagg, Glubbdubdrib et au Japon".

A Laputa, le roi possède une île volante qui lui permet de survoler son pays.

"L'île volante est parfaitement ronde; son diamètre est de trois mille neuf cent dix toises, c'est à dire d'environ quatre milles et demi, et par conséquent elle contient à peu près dix mille acres.

Le fond de cette île ou la surface intérieure, celle qu'on aperçoit lorsqu'on la regarde d'en bas, est un large plateau de diamant poli, d'environ quatre cent pieds d'épaisseur, au-dessus duquel des couches de divers minéraux se succèdent dans l'ordre accoutumé; et le tout est recouvert d'un lit de terre végétale de dix à douze pieds de profondeur.

Le plan de la surface supérieure étant incliné de la circonférence vers le centre, toutes les pluies et les rosées qui tombent de l'île sont conduites par de petits ruisseaux vers le milieu, où ils se déchargent dans quatre grands bassins chacun d'environ un demi-mille de circuit, et situés à deux cent pas de distance du centre de la plaine. L'eau de ces bassins est continuellement pompée de par le soleil pendant le jour, ce que les empêche de déborder.

Au centre de l'île est un trou d'environ vingt-cinq toises de diamètre, par lequel les astronomes descendent dans une excavation voûtée qu'on appelle Flandona Gagnole, ou la caverne des astronomes, située à la profondeur de cinquante toises au-dessous de la surface supérieure du diamant.

Dans cette caverne, vingt lampes brûlent sans arrêt, et, par la réverbération du diamant, elles répandent une grande lumière de tous côtés.

Ce lieu est orné de sextants, de cadrans, de télescopes, d'astrolabes et autres instruments astronomiques; mais le plus curieux de tous les objets qui s'y trouvent, celui duquel dépend la destinée même de l'île, est une pierre d'aimant d'une grandeur prodigieuse, taillée en forme de navette de tisserand.

 

Elle est longue de trois toises et, dans sa plus grande épaisseur, elle a au moins une toise et demie. Cet aimant est suspendu par un gros essieu de diamant qui passe par le milieu de la pierre, et sur lequel elle joue; il est placé avec tant de justesse qu'une maint très faible peut la faire tourner. La pierre est entourée d'un cercle de diamant en forme de cylindre creux, de quatre pieds de profondeur, de plusieurs d'épaisseur, et de six toises de diamètre, placé horizontalement, et soutenu par huit piédestaux, tous de diamant, hauts chacun de trois toises. Du côté concave du cercle, il y a une mortaise profonde de douze pieds, dans laquelle sont placées les extrémités de l'essieu, qu'on peut ainsi faire tourner à volonté.

 

Aucune force ne peut déplacer la pierre, parce que le cercle et ses pieds ne forment qu'une seule pièce avec le corps du diamant, qui fait la base de l'île.

 

C'est par le moyen de cet aimant que l'île se hausse, se baisse, et change de place; car, par rapport à cet endroit de la terre sur lequel le monarque réside, la pierre est douée sur l'un des côtés d'un pouvoir d'attraction, et sur l'autre d'un pouvoir de répulsion.

 

Ainsi, quand on tourne l'aimant de manière qu'il présente à la terre son pôle attractif, l'île descend; mais quand le pôle répulsif est tourné vers la terre, l'île remonte. Lorsque la position de l'île est oblique, le mouvement de l'île l'est aussi; cet aimant imprime toujours une direction parallèle à la sienne. Par ce mouvement oblique l'île est conduite aux différentes parties des domaines du grand monarque."

 

Depuis ma dernière lecture de Gulliver, il m'a été donné de lire quelques uns des nombreux "voyages extraordinaires" écrits au dix-huitième siècle. En relisant Swift aujourd'hui, je suis frappé de constater à quel point son roman s'inscrit dans la tradition et les codes de ce genre littéraire, et à quel point aussi il dépasse presque tous ses confrères, tant au niveau de l'invention, de l'ironie et de l'intelligence, que de l'art littéraire.

 

Dans cette troisième partie de Gulliver, l'auteur semble avoir voulu épuiser les idées qui lui restaient, avant d'en venir au voyage chez les Houyhnhnms où il peut enfin donner libre cours à sa misanthropie. Ce voyage à Laputa en souffre et cette partie de l'œuvre a un côté "forcé" que n'a pas le reste du roman.

 

Les voyages de Gulliver - mais est-il nécessaire de le dire à nos lecteurs, - est un livre fondamental pour tous ceux qui s'intéressent un tant soit peu à la conjecture, et aux autres aussi d'ailleurs.

 

On retrouve Laputa, devenue île volante mythique dans le très beau dessin animé Laputa du japonais Hayao Miyazaki. Il est vrai que, dans l'œuvre de Swift, Gulliver fait escale au Japon.

Harry Morgan