(c) Tôei Doga 1968
Wild side films

D'où sort ce film ?


La première surprise de ce film est sa date de réalisation. Outre l'étonnement de le voir diffusé en France, et qui plus est sur grand écran, trente-six ans après sa sortie au Japon, l'événement pose de façon intense la question de la connaissance que nous avons de l'histoire de l'animation japonaise d'avant Goldorak (Grendizer – 1972), pour citer le titre qui fut le fer de lance de la déferlante des séries animées nippones sur nos petits écrans au milieu des années soixante-dix.
Pour la grande majorité des fans français, la date de référence pour les longs-métrages d'animation japonais est plutôt 1991, avec Akira de Katsuhiro Otomo, réalisé trois ans plus tôt. Mais que savons-nous en France de la période précédente concernant le grand écran ? La réponse est hélas « pas grand chose » . On sait ce qui s'est fait ensuite, mais pour ce qui est de l'avant, mystère. Certes, le nom du réalisateur d'Horus n'est pas totalement inconnu puisque Isao Takahata, co-fondateur du studio Ghibli, a vu plusieurs de ses films diffusés chez nous, en particulier Le tombeau des lucioles (1988), Mes voisins le Yamada (1999) et Gauche le violoncelliste (1981). Si l'on peut facilement savoir que Takahata fut auparavant réalisateur de la fameuse série Heidi, la fillette des Alpes (1974), il est bien plus difficile de trouver des informations sur le début de sa carrière, qui se confond avec celui du studio Tôei.

 

  

Du cinéma animé

La redécouverte d'Horus est, au moins sur le plan filmique, une vraie claque. La présence dans l'équipe des animateurs d'artistes aussi talentueux que Yôishi Kotabe, Reiko Okuyama, Yasuji Mori, Yasuo Otsuka et Hayao Miyazaki explique certainement en partie l'impact visuel de ce long-métrage. Mais le travail de direction de Takahata est absolument sans précédent, puisqu'il s'agit pour la première fois au Japon de mettre en pratique en animation une mise en scène brillante, et proprement cinématographique. Du coup, Horus ne ressemble à rien de ce qui se faisait à l'époque en matière de mise en scène. Qu'il s'agisse de mouvements de caméra, de scènes de foule, ou d'actions simultanées à l'avant-plan et à l'arrière-plan, Takahata ose tout, contraignant les animateurs à innover à tous les niveaux. Même sur les passages non animés, sa façon inédite de recréer l'espace à l'aide de la caméra multiplan bouscule les conventions qui prévalaient jusque là à la Tôei, donnant par exemple au spectateur l'illusion de survoler un village et de zigzaguer entre les toits des maisons.
Lors d'une scène pendant laquelle tout un village se met à pêcher, profitant du retour d'innombrables poissons, on se trouve face à des plans qui intègrent des travelings, des entrées de champs, des déplacements de personnages de l'arrière vers l'avant plan, et même des enchaînements de lieu et d'action dans un même mouvement de caméra. Ce genre de prouesse est d'autant plus impressionnante qu'il n'y a pas de caméra posée dans la scène, mais bien une reconstruction totale de l'action dans son espace et sa temporalité, avec la volonté de donner l'illusion d'une prise de vue véritable. Quasiment chaque plan du film est ainsi une expérience visuelle, une tentative de créer l'adhésion du spectateur par un traitement scénique qui s'oppose non seulement aux productions Disneyiennes de l'époque, mais aussi à celles de la Tôei en animation limitée. Si la contribution du jeune Miyazaki fut essentielle pour parvenir au résultat obtenu, Takahata revendique clairement le langage filmique d'Horus, au point d'y avoir consacré un livre en 1983.
Horus est un film énorme, une leçon de cinéma, avant même d'être un film d'animation.
On peut regretter que les contraintes posées par la direction aient obligé le réalisateur à comprimer la durée de son premier long métrage. Deux scènes particulièrement difficiles ne furent finalement pas animées, et figurent dans le montage final sous forme d'enchaînements de mouvements de caméra sur des dessins fixes, qui donnent tout de même une idée de ce qu'aurait été le résultat si tout avait pu être fait comme le souhaitait le réalisateur. Yoishi Kotabe devait animer ces scènes, mais ne put mener à bien le défi considérable qui lui était lancé. C'est finalement Miyazaki qui réalisa les dessins voué à les remplacer.

 

 

 

Références

Takahata cite volontiers le cinéma d'animation russe lorsqu'on l'interroge sur les films qui l'ont marqué. Le petit cheval Bossu d'Ivan Ivanov-Vano (1947), et La Reine des Neiges de Lev Atamanov (1957) comptèrent autant que La bergère et le ramoneur (1950) de Grimault et Prévert.
Or, l'époque de la réalisation d'Horus est aussi celle pendant laquelle les dirigeants des grands studios russes décidèrent d'arrêter la production de long-métrages animés. Les choix artistiques de Takahata dans la forme qu'il imprima à son film ne sont pas sans rapport avec cet événement qui marquait la fin d'une époque. A de nombreux égards, Horus est un hommage à l'animation russe.