L'AIDE dans LE VOYAGE DE CHIHIRO

  • Tout seul on n'est rien du tout et on a toujours besoin d'une aide, volontaire ou pas, inconsciente ou pas.
  • On ne peut donner que ce qu'on reçoit...

Au début du film, Chihiro, petite fille bougonne et peureuse, ne reçoit visiblement aucune aide de ses parents
Elle a peur de franchir le tunnel ? Et bien qu'elle reste à la voiture à les attendre, lui dit sa mère. Lorsqu'elle se précipite vers celle-ci et se sert contre elle, craignant encore davantage de rester, Chihiro s'entend dire par sa génitrice "Tu m'empêches de marcher"... La seule aide un tant soit peu visible en cet instant est le bouquet de fleurs (instantanément fané) et la carte d'adieu des ses amis qu'elle serre dans ses mains. Cette carte se transformera plus tard en élément clé qui lui permettra de retrouver son identité.
Après la transformation de ses parents en porcs, Chihiro se retrouve seule, désespérée et perdue. Elle rencontre alors son premier et plus grand ami (et probable amoureux), HAKU. Haku qui l'empêche de disparaître au sens plein du terme puis d'être changée en porcelet en lui indiquant la voie à suivre pour survivre dans ce monde étrange. Haku qui, quelques années plus tôt, l'avait déjà sauvée d'une mort certaine lorsque la petite fille, tombée à l'eau, avait manqué de se noyer (rappelons que Haku dont le véritable nom est Kohaku est un esprit de la rivière).

Si l'aide de Haku se révèle centrale et primordiale – ce qui ne signifie pas pour autant rectiligne et facile selon la vision traditionnelle et non manichéenne de Miyazaki – elle ne reste pas la seule à permettre à la jeune héroïne de franchir tous les obstacles sur sa route. Parfois évidentes, parfois d'un ordre presque subliminal, les aides vont se multiplier. Ainsi par exemple l'énorme créature accompagnant Chihiro en ascenseur jusqu'aux étages de la sorcière Yubaba [la divinité dieu des radis]. Mi-terrorisante, mi rassurante (elle a quelque chose de Totoro), elle agit en protecteur, sans rien faire de précis pour autant, si ce n'est monter avec la fillette jusqu'à l'étage désiré alors que visiblement sa propre destination (les bains) se trouve ailleurs et plus bas. Et elle l'aide à s'orienter en lui indiquant quelle direction prendre...
Les aides s'avèrent nombreuses autour de Chihiro : KAMAJII "aux six bras" la briefe sur comment obtenir un contrat de travail de Yubaba afin de sauvegarder sa réalité humaine et il n'hésite pas à la présenter comme sa petite fille. Lin, la jeune fille dont Chihiro rebaptisée Sen devient l'aide, la prend en amitié et ne cessera d'intervenir à des instants cruciaux... Les boules de suie elles-mêmes, les SUSUWATARI petites sœurs des noiraudes de Mon Voisin Totoro, ajoutent leur pierre à l'édifice en gardant et protégeant les chaussures de l'héroïne puis en la  fêtant, amenant sur son visage son premier sourire du film, gage de nouvelles forces...

Aide aussi bien entendu de la soeur jumelle de Yubaba, ZENIBA. Son personnage démontre une fois de plus combien rien n'est simple et comme les apparences sont trompeuses. Non seulement au plan de la représentation physique (sosie de sa soeur, elle apparaît d'abord sous la forme d'une silhouette de papier au bras déchiré) ou par la confusion des identités qu'elle provoque après les transformations de Boo, le bébé de Yubaba et des trois têtes bondissantes, mais aussi dans l'ambiguïté même de ses propres comportements. Par son goût de la plaisanterie et de la mystification, elle aide Sen à aller au-delà des apparences et à maîtriser par conséquent ses propres peurs et fantasmes. Bref, à avancer dans son voyage...

BOO, le rejeton géant et obèse de Yubaba, agit également de façon déterminante en faveur de Sen en exigeant de sa sorcière de mère qu'elle respecte ses engagements et joue "franc-jeu". Mais YUBABA elle-même, peut-être à son corps défendant, ne représente  pas la dernière des aides pour la fillette. Après tout, même forcée, qui d'autre qu'elle pourrait lui permettre de survivre ? En lui confiant la charge a priori impossible de s'occuper du dieu putride, elle permet à Sen de prouver son courage, sa ténacité et son ingéniosité...
Le dieu putride, le KAWA NO KAMI (plus esprit que dieu, d'ailleurs), en voici un autre bien sûr que Sen peut  remercier à travers son don: une boulette magique agissant comme une sorte de vomitif permettant d'expulser le mal des corps damnés et rongés. Haku, puis le dieu sans visage en seront sauvés...

Le Sans-Visage, KAONASHI... Personnage énigmatique et passionnant, sorti tout droit de l'imaginaire de Miyazaki et non pas des mythes et légendes animistes japonais. Lui aussi va aider Sen, même si ses motivations demeurent très incertaines. En donnant à la petite fille les plaquettes de bains spéciaux, il lui permet d'agir avec efficacité pour la libération du Kawa no kami et ainsi de se faire reconnaître et accepter par Yubaba et l'ensemble du personnel, elle, l'humaine. Au-delà, par sa présence et les défis qu'il pose à Sen, il est celui par qui la fillette va finir par se révéler à elle-même, découvrant tous les aspects cachés de sa propre personnalité : courage, détermination, tolérance et même compassion..

Mais si Chihiro/Sen reçoit beaucoup d'aides, elle va aussi en rendre au fur et à mesure de ses aventures. Nous avons vu quels bénéfices le dieu putride et Kaonashi, le Sans-Visage, tirent de ses actions. Deux objectifs déterminent tous les actes de Sen : d'abord, libérer ses parents du sort dont ils se sont retrouvés victimes. En luttant elle-même pour rester vivante et humaine, Sen se donne les moyens d'aider ses parents à reprendre forme humaine. Puis elle consacre toutes ses forces à son ami Haku lorsqu'il lui apparaît gravement blessé et en danger de mort sous sa forme de dragon. La relation Sen/Haku constitue le meilleur exemple de cette aide mutuelle réciproque. Le garçon permet à Sen de redevenir Chihiro en se rappelant son nom alors qu'il a oublié le sien et, à l'inverse, Sen rend à Haku sa véritable identité en ramenant à la surface le souvenir qui les liait...

Philippe Serve
03/05/2002

Copyright Philippe Serve 2002

extrait du site ECRANS POUR NUITS BLANCHES
avec l'aimable autorisation de l'auteur 

Dossier Chihiro sur "Ecrans pour nuits blanche"